SON ET LUMIERE
La musique du Floyd repose avant tout sur un concept qui trouve notamment son illustration dans ses shows.
Dès ses premiers concerts, le groupe innove en utilisant des light-show qui lui permettent de créer une atmosphère en harmonie parfaite avec la musique.
En fait, Pink Floyd fait preuve d’une vision cinématographique de la musique : le groupe se sert d’une panoplie monstrueuse d’effets spéciaux en tous genres dont le nombre ne cessera d’augmenter durant toute sa carrière.
On se souviendra des accessoires géants qui volent au-dessus du public, des projections de films interactifs, des lasers et autres brouillards artificiels.
La musique est véritablement mise en scène et devient le principal centre d’intérêt, bien avant les musiciens.
C’est l’image collective du groupe qui est perçue par le public au détriment des entités individuelles et c’est certainement l’un des points forts de Pink Floyd.
Mais cette vision de la musique ne fait pourtant que reflèter la musique elle-même et la façon dont elle est conçue.
Souvenons-nous qu’à l’origine la musique du groupe est censée correspondre avec le fameux "trip” dont je parlais au début.
Chaque morceau est donc une partie de ce voyage et les différentes parties du morceau sont à leur tour des séquences qui doivent être mises en scène.
SONOSCOPIE De fait, bon nombre de titres du Floyd sont divisés en partie I, partie II, partie III... l’un des must étant sans doute le fameux Shine On Your Crazy Diamond.
Avant de lire les lignes qui suivent, écoutez ce titre qui figure sur l’album Wish You Were Here.
Cette longue plage de 10’38’’ est divisée en plusieurs parties. C’est un peu comme un film qui se déroule dans diffrérents cadres et se divise en autant de séquences.
Le problème est qu’il faut avoir malgré tout un scénario unificateur, un peu comme un fil conducteur : la rythmique et surtout les synthés sont là pour cela, c’est leur rôle.
Les couleurs sont données par la guitare de David Gilmour et par le saxophone final.
Et le son du Floyd peut ainsi se résumer à cette alchimie : la puissance et l’ampleur pour les synthés et la rythmique, avec des nuances superbes qui suivent à merveille le jeu de l’orfèvre Gilmour, celui-ci redessinant les contours de chaque paysage.
Dans Shine On Your Crazy Diamond, on commence avec une première partie entièrement basée sur les synthés qui créent le fondement harmonique et l’ambiance générale du titre. Les mélodies apparaissent bientôt mais restent toujours simples et sont parfaitement adaptées.
Dans la deuxième partie la guitare de Gilmour rentre d’abord discrètement et les synthés passent automatiquement en arrière-plan pour la laisser parler.
Gilmour a alors un son très doux et ses lignes mélodiques sont superbes, simples et efficaces (une véritable marque de fabrique du maître). Puis la guitare disparaît et les synthés sont de nouveau plus présents, envoûtants jusqu’à ce qu’ils s’effacent à nouveau au début de la troisième partie.
Le son de David Gilmour a changé, il est à présent traité à l’aide d'un phaser, la pédale MXR Phase 100.
C’est le riff légendaire, étrange avec une réverbe glacée et une bonne dose d’écho.
On se croirait presque devant une maison hantée ou sur une lande sauvage et l’atmosphère devient presque inquiétante.
La tension est bientôt rompue avec l’arrivée de la basse et de la batterie et le bourdon en Sol disparaît au profit des harmonies qui sont soulignées par la basse.
Notons qu passage que les basses de Roger Waters sont toujours simples mais qu’elles sont aussi caractérisées par une grande finesse.
QUESTION-RÉPONSE
David Gilmour commence alors à établir un dialogue entre deux guitares principales soutenues par une rythmique de base (guitare II).
La guitare I continue le fameux riff et la guitare III lui répond par des accords de puissance dont le son est saturé, avec un petit vibrato caractéristique qui n’est pas sans rappeler celui de Hank Marvin.
On trouve ensuite un premier solo avec un son toujours clean mais un peu plus crunch que dans la deuxième partie. La fin de la troisième partie est marquée par un changement de son et la guitare de David Gilmour devient alors franchement saturée.
Elle "pleure” même pratiquement jusqu’à la fin du passage et c’est le début de la partie IV. Belle progression sonore pour les guitares !! Nouvelle partie, nouveau passage : la guitare passe en rythmique assistée par une deuxième guitare qui effectue quelques réponses. La parole est aux synthés qui jouent une mélodie désormais célèbre.
Puis c’est à nouveau le tour de la guitare pour un deuxième chorus avec un son encore différent de tous ceux qui l’ont précédé. Il s’agit en fait d’une overdrive mais David Gilmour ajoute de nouveau un phaser MXR 100 avec un réglage beaucoup plus drastique qu'au début.
A noter que la pédale Mutron III permettait aussi d'obtenir ce type de son. La cinquième partie va voir l’arrivée du chant (la guitare était jusqu’ici assez mélodique pour compenser son absence).
Gilmour répond au chant avec deux guitares différentes : la première est lead avec un son proche du premier solo (malgré un changement de micro) et la seconde joue des accords saturés qui durcissent le discours car les voix sont très douces.
Les deux parties de chant sont séparées par un lead de guitare en forme de parties harmonisées et David Gilmour n’utilise pas moins de trois guitares pour cette section avec bien sûr trois sons différents, du crunch à la franche saturation.
On passe alors au final : la guitare effectue un arpège discret et laisse le lead à un saxophone dont le chorus est très mélodique, avec quelques effets de jeu digne d’un jazzman virtuose. Ce morceau est donc l’archétype même du son Pink Floyd : riche en atmosphère et en couleurs, ample et puissant, fluide et subtil.
On retrouve cette magie dans bien d’autres titres (Echoes, Money...). En les écoutant, on se demande soudain comment un groupe a pu concevoir une telle musique et quelles sont ses influences.
JJ RÉBILLARD
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