SKA, ROCK STEADY ET REGGAE
En 1966, l’été est si chaud qu’il transforme le ska en rock steady dont les tempos sont beaucoup plus lents. Bob Marley choisit cette période pour se convertir définitivement au rastafarisme sous la tutelle de Mortimer Planner. Il quitte Clement Dodd et fait un retour à la terre pendant lequel il compose beaucoup. Fin 69, il revient à Kingston et commence à travailler avec le producteur Lee Perry.
Les Wailers sont le meilleur groupe vocal du moment. Ils leur faut donc la meilleure section rythmique : ce sera celle des frères Barrett qui sont les musiciens de Lee Perry. Le reggae est né et son influence résonnera dès lors sur toute la fin du XXème siècle. Signalons au passage que Lee Perry est le troisième professeur de Marley.
Il lui fait travailler la guitare rythmique et lui apprend le secret des célèbres formules percussives, tranchantes comme le fil du rasoir. Lee Perry renforce également le rôle de la guitare lead de Peter Tosh qui se révèle un redoutable performer en matière de wah wah. Au début de l’été 71, Bob Marley crée sa propre structure, Tuff Gong et sort sous ce label le titre Trench Town Rock. C’est un succès mais le groupe reste à la merci des traquenards de l’industrie du disque.
CHRIS BLACKWELL ET LE SON WAILERS

C’est à ce moment que Bob rencontre Chris Blackwell, fondateur d’Island. Celui ci connait très bien la musique jamaïcaine dont il a pressenti le succès prochain et les Wailers ont enfin le soutien décisif dont ils avaient besoin.
Dès lors, les succès s’enchainent et les années suivantes voient l’ascension fulgurante d’un Bob Marley, pourtant quitté par Bunny et Peter après l’album Burnin’. I Shot The Sheriff est ainsi repris par Eric Clapton qui en fait un succès interplanétaire.
Bob est à présent connu dans le monde entier et enchaine les tournées aux albums qui connaissent pratiquement tous le même succès. Malheureusement, la maladie apparait bientôt et l’on connait la suite tragique. Mais Marley aura créé un style dont les caractéristiques seront déterminantes pour toutes les musiques de la fin du vingtième siècle.
Côté son, les Wailers présentent une grande diversité. Celle ci résulte notamment des arrangements qui sont extrêmement variés. Au départ, le son est celui du reggae roots : grosse caisse présente, basse grave et puissante, percussions habilement mises en valeur, guitares tranchantes. Les reverbes peuvent être ultra discrètes mais sont aussi parfois très amples sans aller jusqu’aux effets spéciaux du dub.
Dans un certain nombre de situation, on se situe entre les deux extrêmes en employant "des reverbes liturgiques” de type Small church qui conviennent si bien aux ambiances gospel chères à Bob Marley. Pour le mixage, les panoramiques sont étudiés de manière à favoriser le groove et le dialogue entre les différents instruments.
Les arrangements comprennent de nombreuses guitares, du clavinet, d’étranges synthés un peu kitch, des orgues liturgiques ou des cuivres. Enfin, le son des voix est plaintif, car to wail signifie gémir en anglais et les voix sont ainsi en accord avec la démarche du groupe qui joue la musique de ceux qui souffrent, les sufferers. Les arrangements vocaux sont superbes et particulièrement sophistiqués, dans la plus pure tradition du gospel et des groupes américains de la fin des années 50.
LE REGGAE SELON BOB MARLEY

A leurs débuts, Bob Marley et les Wailers pratiquent un reggae plutôt roots. On y retrouve la fameuse pulsion à contretemps, la mise en place des drums et de la basse caractéristique et très peu de solos de guitare.
Ces derniers se réduisent le plus souvent à quelques rares interventions de Peter Tosh qui utilise remarquablement la wah wah mais dans une optique plus rythmique.
A la fin des sixties, le groupe évolue et intègre des effets sonores qui ponctuent des textes acides et contestataires, pratiquant ainsi une forme de reggae psychédélique, assez proche de l’esprit du funk américain signé Sly Stone.
Bientôt, les Wailers se démarquent définitivement des autres groupes jamaïcains qui laissent une large place aux délires instrumentaux du dub.
Bob est en effet un song writer et compose de vraies chansons souvent caractérisées par une structure classique couplet-refrain.
Mais c’est Chris Blackwell qui introduit de nouvelles données dans le but de donner une dimension internationale au reggae des Wailers. Pour ce faire, il ajoute les synthés de John Bundrick sur l’album Catch A Fire et continue le travail de Lee Perry qui avait déjà renforcé le rôle de la guitare lead.
Cette fois, Blackwell fait carrément appel au guitariste américain Wayne Perkins, qui imposera sa marque au travers de longs solos inhabituels en reggae. Dans l’album suivant, Burnin’, le groupe introduit un zeste de funk, perceptible sur des titres comme I Shot The Sheriff ou Get Up Stand Up. Après le départ de Bunny et de Peter, la tendance fusion s’accélère.
Le blues fait son entrée en force avec l’excellent guitariste Al Anderson puis c’est le son hendrixien de la guitare de Junior Marvin. Le terme de cette évolution est certainement le titre Could You Be Loved et sa pulsion funky qui fera un malheur dans les discothèques du monde entier.
JJ RÉBILLARD