PAROLES ET MUSIQUE
« Je peux aimer la musique instrumentale. Mais les paroles sont importantes. C’est tout l’ensemble qui est important. Les gens qui au départ n’écoutent que la musique et pas les paroles, finissent bien vite par écouter les paroles. »
Cette citation de Bob Marley définit parfaitement sa conception de la musique. Un ensemble interactif où les textes et autres messages sont aussi importants que la mélodie, le groove ou l’harmonie.
Un ensemble où chacun a sa place et respecte l’autre. Comme en reggae....un style de musique et un style de vie dont Bob reste un des principaux initiateurs aux côtés de Toots.
De fait, Marley a largement contribué à la diffusion planétaire du reggae qui est une influence majeure pour la plupart des musiques actuelles. L’histoire du reggae et le style de Bob Marley & The Wailers sont donc intimement liés. Pour mieux comprendre, utilisons la machine à remonter le temps en séléctionnant l’année 1494.
JAMAÏCAN VIBRATIONS
L’histoire du reggae commence avec celle de la Jamaïque. Découverte par Christophe Colomb en 1494, l’île est peuplée d’indiens qui sont immédiatement réduits à l’esclavage et meurent rapidement d’épuisement ou de maladie. Les Anglais récupèrent l’île dans leur giron dès 1655 et comprennent vite l’importance du sucre et de son exploitation riche de promesses. Celle ci exige une main d’oeuvre conséquente dont le coût doit évidemment être le plus bas possible.
Ils ont donc recours à l’esclavage et à l’importation de noirs africains. Ils choisissent les tribus les plus guerrières comme les Cromantis, les Mandingues ou les Ashantis qui sont tous originaires du Ghana ou du Bénin. On notera au passage que la branche maternelle de Bob Marley est issue de la tribu des Akans qui appartient aux Cromantis.
L’histoire de la Jamaïque est à cette époque ponctuée de rébellions parfois assez violentes. La dernière révolte d’esclaves se produit en 1831, peu de temps avant l’abolition de l’esclavage. Mais dans les faits, les choses ne changent guère et les Jamaïcains acceptent de moins en moins cette situation en désertant les plantations. De ce fait, les Anglais sont obligés d’avoir recours à la main d’oeuvre indienne et chinoise.
Ce sont les indiens qui introduisent dans l’île la marijuana et la gamme pentatonique majeure. Tous les ingrédients semblent donc être réunis pour favoriser l’émergence d’un courant musical qui sera caractérisé par la fusion et la mixité. Les rythmes seront ceux de l’Afrique et de la musique cubaine. Les lignes mélodiques se situeront au carrefour des gammes pentatoniques mineures et majeures. Les harmonies seront européennes. Quant à l’esprit qui l’animera, on peut parier sur un mélange de révolte, dûe à l’esclavage et de méditation, favorisée par la marijuana. Vérifions ces suppositions...
MARCUS GARVEY
Le reggae est un style musical mais aussi un mode de vie. Pour les comprendre, il est indispensable de connaitre la religion et la philosophie qui en sont les moteurs. Il s’agit bien sûr du rastafarisme dont l’initiateur est un certain Marcus Garvey.
Si l’on se réfère à un certain proverbe jamaïcain, le bonheur vient de l’ouest, les racines sont au sud, la paix soufle de l’est et le pouvoir réside au nord. De fait, les jamaïcains les plus célèbres sont nés au nord de l’île, dans la région de Saint Ann. Ceci est vrai pour Bob Marley et l’est aussi pour Marcus Mosiah Garvey, le Moïse noir qui voit le jour en 1887.
Successivement contremaitre, meneur de grève, journaliste aventurier, fondateur de l’association universelle pour le progrès noir, Marcus Garvey parcourt le monde et rencontre des africains qui lui insuflent une véritable passion pour son continent d’origine. Son journal Negro world devient rapidement une référence à Harlem et il prône un retour de la diaspora en Afrique.
Il crée en 1920 une compagnie maritime dont les actions sont réservées aux noirs et met en service un cargo entre New York et Kingston. Avec six millions d’actionnaires, Marcus se retrouve pourtant en prison en 1922 pour fraude fiscale et on le déporte à Panama. Il rentre à Kingston et se fait prédicateur en 1927 en annonçant : « Tournez vos yeux vers l’Afrique où un roi noir sera couronné, car le jour de la délivrance est proche ». Malheureusement, Marcus Garvey meurt en 1940, avec le grand regret de n’avoir jamais foulé le sol africain. Mais il a fondé une religion, le rastafarisme, dont Bob Marley sera l’emblème à défaut d’en être le messie.
C’est à Kingston que l’on trouve la première communauté rasta, en 1940. Le rastafarisme s’inspire de l’animisme africain, du judaïsme, de l’hindouisme ou encore du protestantisme anglican. Le message est multiple et s’inspire de la bible, de la diététique brahmane ou encore de la magie vaudou africaine. Les rastas adoptent un régime sans alcool, sans sel, à base de fruits, de racines, de poissons ou de légumes. Ils ne se rasent pas et laissent leurs cheveux évoluer en toute liberté. Par contre, les rastas fument la marijuana ou ganja.
C’est un rite sacré qui favorise la méditation. L’âge adulte du rastafarisme coïncide avec l’indépendance de la Jamaïque en 1962. A cette époque, la radio a une place grandissante dans les foyers Jamaïcains. Le rythm’n blues américain et le mento, proche du calypso, fusionnent pour donner naissance au ska alors que les Rude Boys, littéralement « mauvais garçons des rues », occupent les rues de Kingston. Et c’est là que commence véritablement l’histoire du reggae…
JJ RÉBILLARD
|