BLUES ET LONGÉVITÉ
Apparemment, le blues conserve. En
effet, B.B. King a connu l’une des carrières musicales les plus longues avec un
artiste comme Rufus Thomas dont je parlais dans la première partie. En termes
de longévité, sa carrière est à l’opposé exact de celle de Jimi Hendrix qui n’a
duré que 4 ans de 1966 à 1970, si l’on excepte les débuts plus obscurs avant
que la reconnaissance planétaire n’arrive et perdure encore de nos jours. B.B.
King a eu une carrière de plus de 60 ans et même de 80 ans en ce qui concerne
la pratique de la guitare. Une comète à sa façon, qui filait beaucoup moins
vite que la comète Hendrix mais qui a filé longtemps. Qui va loin ménage sa
monture dit le vieil adage…
LA CARRIÈRE DE B.B. KING
EN 6 DATES
1946 :
premier séjour à Memphis avec son cousin Bukka White. Il y retourne en 1948. Il
a plusieurs activités dans des radios, comme guitariste dans l’émission de Sony
Boy Williamson ou comme DJ, et c’est là qu’il prend son surnom: d’abord
Beale Street Blues Boy puis Blues Boy et enfin B.B. D’emblée, il est fasciné
par T-Bone Walker et ses big bands jazzy.
1952 :
après avoir monté son orchestre, le B.B. King Review qui ne compte pas moins de
neuf musiciens (cinq cuivres, un pianiste, un bassiste et deux batteurs), B.B.
King obtient un premier succès avec 3 O’Clock Blues et est de plus en plus
connu et adulé. Il se produit beaucoup sur scène (pas moins de 340 concerts en
1956, soit 25 jours de repos dans l’année!!).
1962 :
ayant signé avec ABC-Paramount, il sort bientôt un album live «Live At
The Regal» qui connaît un grand succès. Puis le British Blues Boom de la
fin des années 60 fait redécouvrir des bluesmen noirs parfois un peu oubliés et
redonne un nouvel essor au blues en le faisant notamment découvrir au public
blanc. Et B.B. King qui est déjà très connu voit de ce fait son public
s’élargir considérablement. En 1969, c’est le succès interplanétaire avec The
Thrill Is Gone, un superbe blues mineur funky et binaire.
1970 :
B.B. King semble alors au sommet de son art mais la deuxième partie de sa
carrière ne fait que commencer. Il est toujours le redoutable showman que l’on
connaît et même si le blues revival s’est un peu estompé, soul et funk prenant
l’avantage, cela ne l’empêche pas d’enchainer concerts et albums. Pas moins de
13 albums verront le jour entre 1970 et 1985.
1988 :
c’est ici que commence ce que l’on pourrait appeler la troisième carrière de
B.B. King. Il est tellement considéré comme un maitre absolu qu’une nouvelle
génération de musiciens va lui rendre hommage et assurer l’éternité à son blues
et à sa chère Lucille. Ses collaborations avec U2, Gary Moore ou encore Eric
Clapton entretiennent la légende à vie. Il continue infatigablement les
concerts jusqu’en octobre 2014.
2015 :
c’est le repos du guerrier, le 14 mai 2015, B.B. King est parti rejoindre tous
ses copains bluesmen (il n’en reste plus trop de sa génération, voire plus du
tout) et ses Lucille. D’aucuns diront que sa mort est suspecte…Mais c’est
souvent le cas lorsque des stars de ce niveau disparaissent. Ainsi, Brian
Jones, Jimi Hendrix, Michael Jackson ou plus récemment Amy Winehouse, même si
aucun n’a vécu aussi longtemps que The King Of The Blues.
B.B. KING ET MOI
Mais que peuvent avoir en commun
B.B. King et JJ Rébillard? Le blues bien sûr, sans aucune prétention de
ma part mais le King a beaucoup compté pour moi, comme vous allez le voir. J’ai
connu B.B. King au début des années 70, très exactement en 1973 avec l’album
L.A. Midnight sorti en 1972. A l’époque je découvre le blues noir car je
connais surtout le blues blanc d’Eric Clapton & The Bluesbreakers ou de
Mike Bloomfield. Je sais que le King est un géant du blues mais j’apprécie
davantage les deux autres King, Albert et surtout Freddie King qui sont plus
funky.
Et puis c’est aussi l’époque de
Jimi Hendrix (même parti, il est plus que jamais présent), Jeff Beck, Deep
Purple, Led Zep, Yes ou Johnny Winter…et je me tourne naturellement davantage
vers les groupes de ma génération. De la même façon que j’ai appris tout ce que
je sais à l’oreille avec les plus grands, j’essaye également de jouer les plans
de B.B. King. J’arrive à les reproduire sans trop de problèmes, mis à part
certains croisements inter-pentatoniques, mais je bute souvent sur les fameuses
mises en places rythmiques.
Je laisse donc le King de côté ne
sachant pas qu’il reviendra dans ma vie 15 ans plus tard. Et de fait, je dois
beaucoup à B.B. King. Je peux même vous dire que sa philosophie de la vie m’a
permis de me sortir d’une sale période. C’était en 1988, juste avant que je
fonde ma première société d’éditions, Music Play. Retour en arrière pour mieux
situer l’époque. Durant les années 80, je fais beaucoup de séances de studio et
joue avec pas mal de monde en participant aussi à différents projets. En 1985,
je produis mon premier single «Sur La Piste Du Cobra» en duo avec
une chanteuse rennaise (Kuuma).
Il va me permettre de signer chez
Phonogram, une major avec laquelle ça ne se passera pas très bien au bout du
compte. Mon single auto produit fonctionnait très bien en radio et on avait
même des TV régionales et nationales. Après réarrangement par le producteur
écossais choisi par Phonogram, ça n’était plus le même morceau. Exit le pont et
les harmonies du refrain qui avaient séduit les radios et ajoutons à cela les
changements de PDG en pleine sortie avec ce que cela suppose…
Bref, on
enregistre alors «Zig Zag», un second single super accueilli mais
sans aucun chef de produit ni promo susceptible de gérer la situation:
second échec. Et encore dû à la maison de disques!
DEPRIME
Du coup, je me trouve dans une
profonde déprime, sentiment confirmé lorsque dans un couloir de deux mètres de
large, je tends la main à l’un des directeurs de production de Phonogram que je
connais très bien: il passe la main baissée, sans le moindre regard ou
salut. En clair, ça veut dire «vous êtes grillé mon vieux». Cool,
ça apprend la vie mais en attendant je commence à comprendre ce que veut dire
dépression.
En mars 1988, je me retrouve donc
un peu sans ressources. Trois choses vont me sortir de là. Mes élèves d’abord,
car au bout du compte, la pédagogie a été l’une, sinon la plus grande source de
satisfaction pour moi. Transmettre ce que l’on sait est certainement l’un des
plus belles choses qui existent. Mon vieux copain d’enfance ensuite, Didier que
j’ai connu au bac à sable à l’âge de 4 ans avec lequel nous allons créer Music
Play pour éditer mes méthodes dans un premier temps. Et enfin B.B. King…
Car à 32 ans, alors que je me souviens
du vieux proverbe: «Too Old For Rock’n Roll, To Young To Die«,
je me demande si je dois continuer et dans quelle direction. Et puis j’ai aussi
le sentiment de ne pas avoir été reconnu à ma juste valeur, en bref frustration
et incompréhension avec un peu de prétention mal placée. A cette époque, je
tombe sur un interview de B.B. King. Il va me proposer une réponse et une
solution à mes problèmes.
LA MUSIQUE SELON B.B.
KING
A la question un peu abrupte que
lui pose le journaliste: « qu’est ce qui compte le plus pour vous:
la musique, le succès, la gloire ou l’argent ?».
B.B. King répond: «ce
n’est pas comme ça qu’il faut voir les choses. Voilà ce que je pense: si
tu joues devant deux personnes et que tu leur communique ton blues et tes
sentiments, c’est déjà une réussite. Si tu commences à jouer dans des grandes
salles avec des milliers de spectateurs et que tu arrives toujours à
communiquer la même chose et plus, c’est encore mieux. Si on te fait un pont
d’or alors, empruntes-le, mais fais attention, car la moindre erreur peut être
fatale et tu regretteras peut-être l’époque de tes deux spectateurs».
A bon entendeur, salut. J’avais
compris le message. Ce qui importe, c’est la musique et ce que tu communiques.
Ca ne fonctionne que si tu communique des sentiments aux gens au travers de ton
blues. Le reste suit s’il doit suivre. En fait, c’est simple, on peut avoir
peur d’une seule chose dans sa vie de musicien et de guitariste: ne pas
avoir le blues. La question qui hante tous les bluesmen avant un concert…
Dès lors, je savais ce qu’il me
restait à faire: je cassais mes contrats avec Phonogram et montais ma
propre édition, Music-Play. C’est comme cela que je suis devenu éditeur, c’est
ensuite toujours selon le message de B.B. King que j’ai joué pour tous les
publics, quelque soit le nombre, ou enregistré et joué sur les CD de Guitar
Collector’s. Ca a été ma réussite à moi et j’en suis fier, pas besoin de Top 50
et autres filouteries. Merci B.B. King.
JJ RÉBILLARD