Ce 16 août 2018, The Queen Of Soul nous a quitté discrètement, laissant orphelins le monde de la musique en général et celui de la soul en particulier. Elle a influencé plusieurs générations de chanteuses, sa voix magistrale était unique et ses talents de pianiste ou de songwriter étaient incontestables.
Lady Soul était encore aussi Lady Blues comme on peut l'entendre et le voir avec la vidéo Aretha Franklin "Dr. Feelgood" Live 1968 (Reelin' In The Years Archives) que j'ai partagée sur Facebook le 17 août.
Aretha s'est enfin beaucoup investie dans la reconnaissance des droits de la communauté africaine américaine des Etats Unis. Elle s'est aussi battue pour toutes les femmes de cette communauté, ce combat s'appliquant d'ailleurs à toutes les femmes, quelle que soit leur origine. C'était une militante infatigable de ces causes.
Elle a elle-même beaucoup souffert de la discrimination et des violences faites aux femmes : mère alors qu'elle a à peine 13 ans (elle aura un second enfant deux ans plus tard), victime d'un mari violent, victime de ses propres excès, elle a surmonté tous ces évènements et bien d'autres encore avec succès.
Mais elle a été malheureusement emportée par la maladie malgré une résistance incroyable. Je ne vais pas proposer ici une ultime biographie complète, les médias s'en sont déjà largement chargés, mais une story plus parcellaire comprenant notamment des infos sur son style ou sur les musiciens qui l'ont accompagnée et ont contribué à son succès, notamment ses guitaristes.
COLUMBIA YEARS
Née en 1942 comme Jimi Hendrix, Aretha Franklin commence la musique avec son père (le révérend C.L. Franklin) et le gospel. Sa musique en sera à jamais imprégnée. Elle apprend également le piano à l'oreille et enregistre son premier album pour JVB Records à l'âge de 14 ans.
Amie de son idole Sam Cooke qui sera l'une de ses principales influences avec Mahalia Jackson ou Etta James, Aretha affirme rapidement son indépendance.
En effet, alors que Sam Cooke aurait bien aimé la faire signer sur RCA, elle signe finalement chez Columbia Records pour qui elle enregistrera plusieurs albums. Malheureusement, Columbia et John H. Hammond qui souhaitent en faire une chanteuse de jazz ne sauront pas profiter de son énorme potentiel.
Elle connait donc un succès modeste entre 1961 et 1966. Et c'est en 1967 qu'un avenir plus radieux et conforme a son talent va s'ouvrir pour celle qui deviendra Lady Soul dans les mois qui suivent.
ATLANTIC YEARS
Il faut souligner à ce sujet l'importance fondamentale d'un certain Jerry Wexler, personnage central pour tout le rythm'n blues et la soul music des 50's et des 60's. Directeur d'Atlantic Records dès 1953, il sera l'un des plus grands dénicheurs de talents de ces deux styles, recrutant dès 1956 le fameux duo Jerry Leiber & Mike Stoller qui signent à cette époque de nombreux hits des Coasters et des Drifters, véritables pères fondateurs de la soul.
Ensuite, Atlantic signe des artistes soul essentiels dans les années suivantes : Ray Charles, Booker T. & The MG's, Wilson Pickett, Otis Redding, Sam & Dave, Percy Sledge, excusez du peu et...Aretha Franklin en 1967.
Jerry Wexler la dirige alors vers l'équipe du studio Fame à Muscle Schoals qui a déjà produit tant de succès. Dès lors, les tubes se succèdent : I Never Loved A Man, Chain Of Fools, Baby I'm Love You...
Elle cosigne également une partie de ses premiers hits comme Sweet Sweet Baby ou Think et interprète également avec personnalité des titres de James Brown, Sam Cooke, Curtis Mayfield ou Isaac Hayes.
Car c'est l'époque des reprises obligées et tout artiste des sixties se doit de proposer dans son répertoire des covers avec des des titres parfois très récents et pas encore systématiquement devenus des hits.
Ce sont d'ailleurs souvent les reprises qui deviennent des hits et non les originaux.
On n'oubliera pas sa magistrale reprise du Respect d'Otis Redding dont elle délivrera une version très personnelle, véritable manifeste pour le respect des femmes ou celle d'I Can Get No des Rolling Stones sur un tempo démultiplié et un swing très funky.
Durant cette période des Golden Years de 1967 à 1972, les guitaristes attitrés d'Aretha sont Jimmy Johnson (le number one), Bobby Womack, Chips Moman, Eddie Hinton (on peut également entendre Duane Allman, ou Eric Clapton sur certains titres).
Les autres musiciens sont ceux de Muscle Shoals à savoir Spooner Oldham (claviers), Roger Hawkins (batterie) et Tommy Cogbill (basse) avec des sections de cuivre maison mais assez variables.
Côté matos, les guitaristes d'Aretha jouent surtout sur Fender Telecaster, Fender Stratocaster, Gibson ES335 et plus rarement sur Gibson Les Paul.
Pour les amplis, le Fender Twin Reverb ou le Vox AC30 sont les plus utilisés mais on trouve aussi des Marshall.
Le style d'Aretha est façonné par le gospel et le blues qui sont l'essence de la soul music, mais elle va évoluer dans une époque où le R&B et le rock'n roll sont omniprésents.
C'est donc un mix de ces différents styles, auxquels on ajoutera la country music (profondément présente chez les musiciens de southern soul) ou le jazz des années Columbia qui va définir le style Franklin. Il évoluera autour de ce concept durant les années Atlantic de 1967 à 1980.
ARISTA YEARS
Ensuite, Aretha va quitter Atlantic pour Arista, entamant une nouvelle ère, la troisième en quelque sorte après l'ère Columbia et l'ère Atlantic. Elle sera marquée dès 1980 par la comédie musicale The Blues Brothers dans laquelle, patronne du Soul Food Café, elle interprète une version magistrale de son tube Think.
Dès lors, le style d'Aretha va devenir en quelque sorte plus policé, quittant les chemins rugueux de la Southern Soul. On ne retrouvera peut-être pas la magie des Golden Years de 1967 à 1972, mais contrairement à d'autres artistes, Aretha ne fera jamais d'impasse.
Sa musique sera toujours de qualité, littéralement portée par cette voix sublime au feeling bluesy à fleur de peau.
Pour ma part, j'ai grandi avec Aretha Franklin et je lui ai rendu un modeste hommage dans la méthode Funk Guitar ou avec Dance, l'album des Soul Warriors où l'on retrouve son influence dans plusieurs titres .
HOMMAGE
Ma complice la chanteuse Claudia Hoff m'a aidé dans ce sens ainsi que Sophia Nelson et Jean Carpenter aux backing vocals (Lady Jean a justement chanté aux côtés d'Aretha Franklin et c'est un honneur pour moi d'avoir son talents qui s'exprime dans l'une de mes productions, apportant ainsi un peu de l'esprit de Lady Soul).
Car Aretha Franklin, c'est tellement de souvenir sassociés pour moi, c'est 1967 et mes 11 ans : c'est aussi l'année du Monterey Pop Festival, et son 33 tours vinyle que j'ai usé jusqu'à la corde, mon premier 30 cm avec Otis Redding en face A et Jimi Hendrix en face B.
Donc, Respect pour Aretha, pour moi, c'est culte, comme Jimi, comme Otis et c'est tout ce que je peux dire. Justement, pour finir, même si la soul et le funk ont toujours fait partie de mon univers, j'ai recommencé a en écouter davantage avec le hip hop de la fin des années 80.
La soul est en effet revenue en force sous de nouvelles formes, R'n'B, New Jack, Nu Soul. De nombreux rappeurs ont samplé Aretha et de nombreuses jeunes chanteuses s'en sont inspirées.
On citera les Destiny's Child et Beyonce, les Fugees et Lauryn Hill, Alicia Keys, Mary J. Blige, Angie Stone ou encore Jill Scott et Erykah Badu et plus tard Amy Winehouse ou bien Adèle mais la liste serait interminable, donc on se limitera à ces chanteuses. Dans tous les cas, la preuve est là : Aretha a été pour elles une influence majeure que l'on peut comparer à celle de Jimi Hendrix pour les guitaristes.
THE QUEEN OF SOUL
Et en 2003 alors que j'écoutais beaucoup ces jeunes artistes, j'ai vu dans les bacs le nouvel album d'Aretha, So Damn Happy. Je l'ai bien sûr immédiatement acheté.
En écoutant le premier titre, The Only Thing Missin', j'ai compris ou plutôt entendu. Les nouvelles princesses du R'n'B et de la Nu Soul avaient toutes beaucoup appris d'Aretha, lui rendant de fait un hommage si puissant qu'il la consacrait dans l'éternité et la dame, la reine, Lady Soul, leur avait bien rendu.
En effet, elle s'accomplissait parfaitement dans un contexte musical qui était celui de ses dames et leur disait en quelque sorte, vous voyez, je vous ai beaucoup appris et merci pour ce que vous faites à présent.
Mais moi aussi je sais le faire. La voix d'Aretha n'était pas seulement identifiée aux Golden Years de la fin des 60's, elle pouvait traverser toutes les époques et c'est ce qui faisait entre autres sa magie...
JJ RÉBILLARD
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