
Après Charley Patton, Leadbelly, Lonnie Johnson et Mississippi John Hurt, un cinquième article pour cette nouvelle série de portraits consacrés aux légendes du blues. Ces portraits se veulent à la fois des stories, des histoires de vie mais aussi des analyses de style où vous découvrirez tout ce qui façonne le son et le phrasé des légendes du blues. A noter que l’on s’intéresse ici spécifiquement aux guitaristes. Nous sommes toujours avec les pionniers et nous allons à présent découvrir l’un des fondateurs du Chicago Blues, Big Bill Broonzy, un virtuose dont le seul rival est Lonnie Johnson.
UN LIEU ET UNE DATE DE NAISSANCE CONTROVERSÉS
Avant toute chose et comme pour les articles consacrés aux pionniers, je vous engage à relire l’introduction de cette rubrique Blues Secrets. Elle est consacrée aux hollers qui sont la base du langage blues et dont la trace est encore très présente chez les premiers bluesmen.
Le lieu et la date de naissance de Lee Conley Bradley dit Big Bill Broonzy sont très controversés. Selon Big Bill lui-même, il serait né à Scott dans le Mississippi alors que les recherches du célèbre historien du blues Robert Reisman indiquent le comté de Jefferson dans l’Arkansas comme lieu de sa naissance. Ensuite, la date n’est guère plus claire. Broonzy prétend qu’il est né en 1893, d’autres sources avancent l’année 1897 voire 1898, enfin, le livret de famille découvert après sa mort laisse à penser qu’il serait né en 1903.
On préfèrera donc le juste milieu et l’année 1898 qui semble recoupée par plusieurs sources, notamment du fait qu’il a servi dans l’armée en Europe pendant la seconde guerre mondiale. Comme on le voit, avec les pionniers du blues, date et lieu de naissance prêtent souvent à d’interminables discussions mais le principal sujet reste évidemment la musique qu’ils ont distillée et l’héritage qu’ils nous ont transmis…
VIOLONISTE DE FORMATION
Issu d’une famille nombreuse qui ne compte pas moins de dix sept enfants, Bill passe sa jeunesse près de Pine Bluff dans l’Arkansas. Très précoce, il commence la musique à l’âge de 10 ans avec un violon…qu’il aurait selon la légende construit lui-même avec une boite de cigares en guise de caisse de résonance. Son oncle Jerry Belcher lui apprend des chansons issues du répertoire musical populaire et des spirituals. Bill a fort envie de partager ses premiers acquis et il commence rapidement à se produire avec Louis Carter, un ami guitariste dans des fêtes locales, souvent religieuses.
Mais tout ceci ne dure pas très longtemps et on retrouve notre homme en 1915 : à priori âgé de 17 ans, Bill s’est marié, travaille comme métayer et ne joue plus de violon…sauf que la petite histoire raconte qu’on lui aurait offert 50 dollars et nouveau violon à condition qu’il joue quatre jours durant. Sa femme ayant un peu inconsidérément dépensé l’argent, Bill est obligé de jouer et se réconcilie ainsi avec son violon. Mais les caprices météo de l’année 1916 le ruinent et l’obligent à louer ses services à d’autres exploitants agricoles.
ET BIG BILL BROONZY DEVIENT GUITARISTE

Il est ensuite sous les drapeaux à partir de 1917 durant deux ans et combat ainsi en Europe à la fin de la grande guerre puis il quitte l’armée en 1919, s’installant dans la région de Litlle Rock, toujours dans l’Arkansas, avant de monter à Chicago en 1920.
C’est là que Big Bill va passer du violon à la guitare et c’est un bluesman sonsgter du nom de Papa Charlie Jackson qui va lui apprendre l’instrument. En effet, joueur de banjo-guitar, de guitare et de ukulélé, ce vétéran est bien placé pour être le prof de Bill.
Bien qu’il fasse accessoirement de multiples jobs pour joindre les deux bouts au début de ces années 20, l’activité principale de Big Bill reste la musique. Il se produit régulièrement dans des soirées et progresse rapidement à la guitare en se taillant une solide réputation. Et par l’entremise de Papa Charlie Jackson qui a ses entrées chez Paramount, il grave dès 1926 ses premiers 78 t. Son premier succès, Big Bill Blues date de 1928. Puis en 1930, le titre Saturday Night Rub révèle sa virtuosité et dès lors, le succès est là.
CHICAGO BLUES
Les années 30 sont un peu le premier âge d’or de Big Bill Broonzy. Il enregistre durant cette période au moins 300 titres en solo et presqu’autant comme accompagnateur chez Okeh Records, Bluebird, Columbia, Chess ou Mercury. Il se produit aussi beaucoup à Chicago dans les clubs du South Side et tourne avec Memphis Minnie. On le retrouve encore comme compositeur (il ne peut signer les arrangements du fait de ses contrats avec son label) pour des artistes et amis comme Washboard Sam (son demi-frère), Jazz Gillum, Tampa Red.

En effet, il est le roi des clubs de Chicago et a une grande influence sur la vie musicale de la ville. De ce fait, il peut aider bien des jeunes artistes qui enregistreront leurs premières faces grâce à lui. Memphis Slim ou Muddy Waters lui doivent certainement beaucoup à ce titre.
Durant les années 40, Big Bill élargit encore son spectre musical et encore une fois, le point de comparaison s’établit avec Lonnie Johnson. Des chansons comme Where The Blues Began avec Big Maceo au piano et Buster Benett au saxo, Martha Blues avec Memphis Slim au piano ou Key To The Highway sont représentatives de cette époque.
RETOUR AUX ORIGINES ET CONSÉCRATION EN EUROPE
A la fin des années 40, la nouvelle tendance se dessine pour le Chicago Blues qui s’électrifie et devient beaucoup plus dur avec ses guitares amplifiées. Big Bill indique la voie à suivre à de nombreux musiciens comme Muddy Waters ou Willie Dixon, mais choisit à l’inverse de ne pas suivre cette tendance et de revenir aux origines.
Il reprend donc sa guitare acoustique et réinterprète les thèmes folk et country blues qu’il n’avait plus jamais joués depuis son arrivée à Chicago. Il part en Europe où le public va lui réserver un accueil sans précédent pour un bluesman et se définit lui-même comme « un laboureur noir du sud » ou comme « le dernier des chanteurs de blues vivants ».
Et c’est en Europe entre 1951 et 1958 que Big Bill Broonzy devient un artiste absolument mythique, influence majeure de nombreux musiciens grâce aux nombreux concerts qu’il donne dans les clubs de folk et de jazz britanniques. On peut dire qu’il a initié la future scène blues anglaise et de fait le British Blues Boom. Bien des musiciens aux styles très variés revendiquent son influence comme Bert Jansch, John Lennon, Eric Clapton, John Renbourn, Rory Gallagher, Ray Davies, Steve Howe, Ron Wood ou encore Jerry Garcia pour n’en citer que quelques uns…
Mais malheureusement, après une vie riche et trépidante et une véritable consécration en Europe, Big Bill Broonzy meurt d’un cancer de la gorge en 1958. Son héritage est inestimable et il aura largement contribué à la diffusion du blues auprès de tous les publics. En effet, pour le public américain en général et pour le public noir de Chicago en particulier, ou encore pour le public blanc européen, il aura été un véritable ambassadeur du blues.
En attendant l'analyse complète du style de Big Bill Broonzy dans la seconde partie de cet article, vous pouvez déjà écouter quelques titres qui ont largement contribué en faire une véritable légende du blues, celle du dernier des chanteurs de blues vivants, comme il aimait s'autoproclamer. Donc, rendez-vous dans cette partie 2 où vous apprendrez tout sur le style du maitre (finger picking à 4 doigts, jeu note à note au pouce ou au médiator, formules rythmiques, tonalités , grilles et harmonies de prédilection, gammes utilisées, effets de jeu). A suivre...
JJ RÉBILLARD
POUR EN SAVOIR PLUS
Big Bill Blues Original Version 1928
Big Bill Blues 1935 Orchestral Version
Saturday Night Rub 1930
Hey Hey (repris notamment par Eric Clapton dans son album culte Unplugged)