FEDERATEUR
Chuck Berry mérite bien le titre de père fondateur du rock’n roll. Charnière essentielle entre les bluesmen des années 40 et les rockers des sixties, Chuck a influencé la plupart de ses contemporains et bien sûr des musiciens des générations suivantes.
C’est le B.B King du rock. Pour exemple, en mars 1990, Chuck Berry donne un concert à deux pas de la basilique de Saint Denis, en France, devant quatre mille personnes.
Le public est plus que diversifié et quatre générations s’y côtoient sans problème, du rocker des sixties au rappeur des années 90.
Le père du rock délivre une prestation sans faille, enchainant tous ses tubes : Maybellene, School Days, Johnny B. Goode, Memphis Tennessee, Roll Over Beethoven, Sweet Litlle Sixteen, Carol, Rock’n Roll Music…
Intros et solos en doubles stops, rythmiques implacables, textes pour teenagers à la recherche de la fureur de vivre, jeu de scène inimitable avec son célèbre pas de canard.
C’est le cocktail de Chuck où se reconnaissent plusieurs générations. En 1955, le rock’n roll incarne la révolte de la jeunesse. En 1990 et dans les années suivantes, le hip hop a remplacé le rock’n roll mais le message est toujours le même.
Seules comptent l’authenticité et la sincérité du prêcheur. Chez Chuck, elles sont restées intactes, entre Son House et Zack De La Rocha et les rappeurs de Saint Denis ne s’y sont pas trompés…
UN STYLE ET UN SON UNIQUES
Né à la fin des années 20, peu après B.B. King, Chuck Berry s’initie à la musique dès son plus jeune âge. A six ans, il chante déjà dans la chorale de l’église baptiste de Saint Louis.
A dix ans, il fait partie d’un groupe de blues de la même ville. Une star du jazz local lui apprend les premiers rudiments en matière de guitare mais les quatre cordes de son instrument de l’époque ne lui autorisent qu’un éventail de jeu assez réduit.
C’est à partir de l’âge de quinze ans que notre homme va pouvoir donner libre cours à son inspiration avec une vraie 6 cordes et vous connaissez la suite…
Les influences majeures de Chuck sont avant tout celles des pionniers du blues électrique : John Lee Hooker, T. Bone Walker, Big Bill Broonzy et surtout Muddy Waters marquent clairement le futur rocker.
Mais le jazz, le ragtime, le style Tex Mex ou la musique des Caraïbes font également partie du paysage sonore de Chuck Berry.
C’est à partir de ce panel d’influences qu’il va créer ce style et ce son, devenus aujourd’hui légendaires.
Ils sont la marque de fabrique du rock’n roll et l’écoute des trois titres que je vous propose dans l’analyse finale de cette rubrique vous permet de comprendre la genèse du rock, comme sa parenté avec les styles précédemment cités.
AFTERBEAT ET ROCK’N ROLL
Commençons avec Carol. Le fait le plus marquant est certainement l’afterbeat (accentuation des 2ème et 4ème temps). La caisse claire est bien en avant avec un son légèrement reverbéré caractérisé par un écho court que l’on retrouve ensuite dans tout le rockabilly. La guitare rythmique est un pur riff de blues, un classique que vous reconnaitrez immédiatement.
La différence est qu’il est ici parfaitement binaire alors que les formules binaires étaient pratiquement absentes du blues depuis les années 20. Enfin, le dialogue entre le chant, le piano et la guitare lead est évident.
Cest le fameux système question-réponse du bon vieux blues. Notez encore le tempo soutenu (158) et vous aurez la définition de base du rock’n roll : du blues rapide binaire et rythmé (after beat), en bref du rythm’n blues version fin des fifties.
Mais le rythm’n blues et le rock’n roll ne sont pas deux styles rigoureusement identiques, comme l’écoute du deuxième titre va vous le montrer.
Il s’agit d’un autre standard du maitre : Sweet Little Sixteen. Ici, la parenté avec la country music, le ragtime ou la musique des Caraïbes est évidente.
D’entrée, l’afterbeat domine encore, mais il est exécuté différemment, avec un mélange de peau et de rimshot sur la caisse claire qui le rend plus léger, comme en country.
Le balancement de la basse est également caractéristique de ce style.
Il obéit à un groove de type marche, sauf dans le deuxième couplet où l’on trouve une walking basse directement issue du jazz.
Pour le piano, c’est du pur ragtime et côté guitare rythmique, c’est toujours le fameux riff classique du blues, encore une fois binaire.
Notons qu’il se superpose au groove shuffle des cymbales avec un effet caractéristique du style de Chuck, que l’on identifie dans pas mal de standards du rock. Enfin, à l’écoute des deux solos, on retrouve la musique des Caraïbes.
Pour un peu, on croirait presque entendre de la guitare hawaïenne.
JJ RÉBILLARD
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