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20 déc. 2019 20:51
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Voici la seconde partie de cet article consacré à Big Bill Broonzy pour tout savoir sur le style et les techniques utilisées par ce guitariste génial et novateur qui n'a eu d'autre égal qu'un certain Lonnie Johnson.
UN GÉNIE DE LA GUITARE
Big Bill Broonzy est un maitre sans équivalent, à l’exception du légendaire Lonnie Johnson. A partir de ses influences qui sont principalement celles de ses contemporains ( Jimmie Rodgers, Blind Blake, Son House et Blind Lemon Jefferson), Big Bill crée un style unique caractérisé par une fusion des genres et une virtuosité incroyable.
C’est un mix de ragtime, de country blues, de blues urbain, de chansons jazzy, de jazz, de traditionnels folk et de spirituals interprété avec une technique hors du commun. Surprenant, quand on sait que notre homme n’a commencé la guitare qu’en 1920 alors qu’il avait plus de vingt ans.
Toutefois, il avait déjà une grande maturité musicale à ce moment, en particulier du fait de son ouverture d’esprit. Au départ Big Bill est un chanteur à la voix puissante qui déclame des blues aux paroles pleines d’un humour au second degré caractéristique des spirituals songs.
Mais il est aussi un guitariste inventif et génial, un véritable virtuose. Il utilise toutes les techniques, sachant aussi bien jouer en finger picking qu’en jeu note à note, au pouce comme au médiator.
UN FINGER PICKING SANS ÉGAL
Son finger picking est complexe et basé sur l’utilisation de quatre doigts de la main droite. Il effectue ainsi un véritable mouvement de balancier avec son pouce sur les cordes graves tout en jouant la mélodie avec les trois autres doigts sur les cordes aiguës. Une vraie prouesse technique et un jeu difficile à reproduire. Mais Big Bill pratique aussi le jeu note à note en utilisant le médiator, surtout dans sa période guitares amplifiées, mais aussi le pouce comme dans Trouble In My Mind. Pour ce jeu note à note, on citera aussi New Shake-Em on Down ou Summertime Blues.
 Côté rythme, Big Bill Broonzy est un adepte du swing feel ou shuffle et du 12/8, des formules qui sont donc exclusivement ternaires. On peut trouver des formules binaires mais ce sont de très rares exceptions au début des années 20.
Il joue également dans de nombreuses tonalités et se révèle un véritable spécialiste du blues en Do, tonalité largement présente (et plus que fréquente en ragtime) mais pour ma part, j’ai fait une enquête assez approfondie et le résultat est formel : c’est le blues en Sol qui est majoritaire.
TONALITÉS ET HARMONIES
Ensuite, il joue aussi en Mi, en Fa, en Ré, en Lab et en Sib. Toutefois, pour ces deux dernières tonalités, il est parfois difficile de confirmer car à l’époque, les enregistreurs sont encore assez rudimentaires et leur vitesse n’est pas toujours fiable, notamment pour des questions de tension.
Même un instrument comme le piano, lorsqu’il est présent, ne permet pas toujours d’avoir une certitude sur l’accordage général…De plus, les accordages sont parfois légèrement au dessus ou au dessous du diapason et l’accordage un demi-ton en dessous est possible.
Les grilles harmoniques sont souvent des classiques en 12 mesures (Match Box Blues, Hey Hey)) ou 13 mesures (Rocking Chair Blues) lorsque les textes l’exigent, comme chez les pionniers. On trouve parfois des variantes d’harmonisation souvent empruntées au ragtime (House Rent Stomp, Lonesome Road Blues, Saturday Night Rub). Mais Big Bill Broonzy est aussi un spécialiste des grilles en 8 mesures (Key To The Highway, Midnight Special).
Les harmonies sont les accords générateurs classiques mais elles sont généralement enrichies (accords de 4 sons voire 5 sons). Lorsque Big Bill accompagne certains artistes comme Jazz Gillum, ou enregistre en compagnie de Big Maceo ou Buster Benett, les grilles évoluent vers le jazz avec des accords de passages de type 7ème diminuée et des substitutions (voir les albums The War And Postwar years). On note donc une très grande variété harmonique qui correspond à la multiplicité des genres à la base de son style.
UN SPÉCIALISTE DES GAMMES DE BLUES AU 3ÈME STADE
 Enfin, côté mélodique, on retrouve le jeu sur les pentatoniques mineures et parfois majeures (ces dernières étant moins fréquentes que chez son alter ego Lonnie Johnson) auxquelles on ajoute les blue notes. Mais les gammes les plus fréquentes, toujours dans l’esprit des pionniers, sont les gammes de blues au troisième stade.
Big Bill Broonzy intègre les liaisons mélodiques dans ses rythmiques en finger picking (majorité des cas) selon un système question-réponse, sauf dans le cas du jeu note à note où elles constituent l’essentiel du phrasé. Il est également un des premiers à utiliser de nombreux effets de jeu de la main gauche, en particulier les bends qui sont une véritable marque de fabrique.
Pour conclure, ce qui reste le fait le plus marquant de son jeu est certainement le groove permanent et implacable qui le sous-tend en permanence. De cette façon, il assure une rythmique impeccable tout en ajoutant des liaisons mélodiques du meilleur goût. Un grand maitre qui n’a d’égal (on ne cessera de le répéter) que le fameux Lonnie Johnson…
GUITARES ET DISCOGRAPHIE
La guitare fétiche de Big Bill Broonzy est la 1920 Gibson Style O sur laquelle il joue majoritairement durant les années 20 et 30 et que l’on peut voir sur de nombreuses photos et autres pochettes d’album (voir part 1). Il joue aussi souvent sur une Gibson L7 à partir des années 30.
On trouve encore une Epiphone DeLuxe Arch Top 1938 à la fin des années 30 et au début des années 40. Enfin, dans la dernière partie de sa carrière, Big Bill joues sur une Martin 000-28 ( fin des années 40 et années 50). Mais l’instrument le plus marquant est la fameuse 1920 Gibson Style O qui reste profondément attachée à son image.
Côté discographie, on conseillera les albums All The Best, The Youg Big Bill Broonzy 1928-1935, The War And Postwar years (3 volumes) qui recoupent l’ensemble de sa carrière, notamment l’album All The Best où l’on trouve les grandes caractéristiques de son style dont je vous ai parlé précédemment. Enfin, les albums Big Bill Broonzy 1932-1942 ou Do That Guitar Rag complèteront la liste des opus de ce grand novateur qui a laissé une empreinte unique et éternelle sur le blues.
JJ RÉBILLARD
POUR EN SAVOIR PLUS
Big Bill Blues Original Version 1928
https://www.youtube.com/watch?v=nBUUxzzZm4g
Big Bill Blues 1935 Orchestral Version
https://www.youtube.com/watch?v=ykTm-8qDScQ
Saturday Night Rub 1930
https://www.youtube.com/watch?v=NoiJh5FuYzU
https://www.youtube.com/watch?v=B0HgY2cuhB8
Hey Hey
https://www.youtube.com/watch?v=QtQZ4Oya0gw
The Glory Of Love 1957
https://www.youtube.com/watch?v=iJBhfwP6VSQ
Trouble In My Mind (excellent exemple de blues avec liaisons mélodiques note à note jouées au pouce)
https://www.youtube.com/watch?v=Ftkzo-otEyo
https://www.youtube.com/watch?v=r0dt7Zeu01s&list=RDXHH-jmj7DJQ&index=2
New Shake-Em on Down (bel exemple de solo note à note (1938)
https://www.youtube.com/watch?v=U_wkm3F1M5A
Album All The Best
https://www.youtube.com/watch?v=430dZ5wNCnk
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13 nov. 2019 19:32
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 Après Charley Patton, Leadbelly, Lonnie Johnson et Mississippi John Hurt, un cinquième article pour cette nouvelle série de portraits consacrés aux légendes du blues. Ces portraits se veulent à la fois des stories, des histoires de vie mais aussi des analyses de style où vous découvrirez tout ce qui façonne le son et le phrasé des légendes du blues. A noter que l’on s’intéresse ici spécifiquement aux guitaristes. Nous sommes toujours avec les pionniers et nous allons à présent découvrir l’un des fondateurs du Chicago Blues, Big Bill Broonzy, un virtuose dont le seul rival est Lonnie Johnson.
UN LIEU ET UNE DATE DE NAISSANCE CONTROVERSÉS
Avant toute chose et comme pour les articles consacrés aux pionniers, je vous engage à relire l’introduction de cette rubrique Blues Secrets. Elle est consacrée aux hollers qui sont la base du langage blues et dont la trace est encore très présente chez les premiers bluesmen.
Le lieu et la date de naissance de Lee Conley Bradley dit Big Bill Broonzy sont très controversés. Selon Big Bill lui-même, il serait né à Scott dans le Mississippi alors que les recherches du célèbre historien du blues Robert Reisman indiquent le comté de Jefferson dans l’Arkansas comme lieu de sa naissance. Ensuite, la date n’est guère plus claire. Broonzy prétend qu’il est né en 1893, d’autres sources avancent l’année 1897 voire 1898, enfin, le livret de famille découvert après sa mort laisse à penser qu’il serait né en 1903.
On préfèrera donc le juste milieu et l’année 1898 qui semble recoupée par plusieurs sources, notamment du fait qu’il a servi dans l’armée en Europe pendant la seconde guerre mondiale. Comme on le voit, avec les pionniers du blues, date et lieu de naissance prêtent souvent à d’interminables discussions mais le principal sujet reste évidemment la musique qu’ils ont distillée et l’héritage qu’ils nous ont transmis…
VIOLONISTE DE FORMATION
Issu d’une famille nombreuse qui ne compte pas moins de dix sept enfants, Bill passe sa jeunesse près de Pine Bluff dans l’Arkansas. Très précoce, il commence la musique à l’âge de 10 ans avec un violon…qu’il aurait selon la légende construit lui-même avec une boite de cigares en guise de caisse de résonance. Son oncle Jerry Belcher lui apprend des chansons issues du répertoire musical populaire et des spirituals. Bill a fort envie de partager ses premiers acquis et il commence rapidement à se produire avec Louis Carter, un ami guitariste dans des fêtes locales, souvent religieuses.
Mais tout ceci ne dure pas très longtemps et on retrouve notre homme en 1915 : à priori âgé de 17 ans, Bill s’est marié, travaille comme métayer et ne joue plus de violon…sauf que la petite histoire raconte qu’on lui aurait offert 50 dollars et nouveau violon à condition qu’il joue quatre jours durant. Sa femme ayant un peu inconsidérément dépensé l’argent, Bill est obligé de jouer et se réconcilie ainsi avec son violon. Mais les caprices météo de l’année 1916 le ruinent et l’obligent à louer ses services à d’autres exploitants agricoles.
ET BIG BILL BROONZY DEVIENT GUITARISTE
 Il est ensuite sous les drapeaux à partir de 1917 durant deux ans et combat ainsi en Europe à la fin de la grande guerre puis il quitte l’armée en 1919, s’installant dans la région de Litlle Rock, toujours dans l’Arkansas, avant de monter à Chicago en 1920.
C’est là que Big Bill va passer du violon à la guitare et c’est un bluesman sonsgter du nom de Papa Charlie Jackson qui va lui apprendre l’instrument. En effet, joueur de banjo-guitar, de guitare et de ukulélé, ce vétéran est bien placé pour être le prof de Bill.
Bien qu’il fasse accessoirement de multiples jobs pour joindre les deux bouts au début de ces années 20, l’activité principale de Big Bill reste la musique. Il se produit régulièrement dans des soirées et progresse rapidement à la guitare en se taillant une solide réputation. Et par l’entremise de Papa Charlie Jackson qui a ses entrées chez Paramount, il grave dès 1926 ses premiers 78 t. Son premier succès, Big Bill Blues date de 1928. Puis en 1930, le titre Saturday Night Rub révèle sa virtuosité et dès lors, le succès est là.
CHICAGO BLUES
Les années 30 sont un peu le premier âge d’or de Big Bill Broonzy. Il enregistre durant cette période au moins 300 titres en solo et presqu’autant comme accompagnateur chez Okeh Records, Bluebird, Columbia, Chess ou Mercury. Il se produit aussi beaucoup à Chicago dans les clubs du South Side et tourne avec Memphis Minnie. On le retrouve encore comme compositeur (il ne peut signer les arrangements du fait de ses contrats avec son label) pour des artistes et amis comme Washboard Sam (son demi-frère), Jazz Gillum, Tampa Red.
 En effet, il est le roi des clubs de Chicago et a une grande influence sur la vie musicale de la ville. De ce fait, il peut aider bien des jeunes artistes qui enregistreront leurs premières faces grâce à lui. Memphis Slim ou Muddy Waters lui doivent certainement beaucoup à ce titre.
Durant les années 40, Big Bill élargit encore son spectre musical et encore une fois, le point de comparaison s’établit avec Lonnie Johnson. Des chansons comme Where The Blues Began avec Big Maceo au piano et Buster Benett au saxo, Martha Blues avec Memphis Slim au piano ou Key To The Highway sont représentatives de cette époque.
RETOUR AUX ORIGINES ET CONSÉCRATION EN EUROPE
A la fin des années 40, la nouvelle tendance se dessine pour le Chicago Blues qui s’électrifie et devient beaucoup plus dur avec ses guitares amplifiées. Big Bill indique la voie à suivre à de nombreux musiciens comme Muddy Waters ou Willie Dixon, mais choisit à l’inverse de ne pas suivre cette tendance et de revenir aux origines.
Il reprend donc sa guitare acoustique et réinterprète les thèmes folk et country blues qu’il n’avait plus jamais joués depuis son arrivée à Chicago. Il part en Europe où le public va lui réserver un accueil sans précédent pour un bluesman et se définit lui-même comme « un laboureur noir du sud » ou comme « le dernier des chanteurs de blues vivants ».
Et c’est en Europe entre 1951 et 1958 que Big Bill Broonzy devient un artiste absolument mythique, influence majeure de nombreux musiciens grâce aux nombreux concerts qu’il donne dans les clubs de folk et de jazz britanniques. On peut dire qu’il a initié la future scène blues anglaise et de fait le British Blues Boom. Bien des musiciens aux styles très variés revendiquent son influence comme Bert Jansch, John Lennon, Eric Clapton, John Renbourn, Rory Gallagher, Ray Davies, Steve Howe, Ron Wood ou encore Jerry Garcia pour n’en citer que quelques uns…
Mais malheureusement, après une vie riche et trépidante et une véritable consécration en Europe, Big Bill Broonzy meurt d’un cancer de la gorge en 1958. Son héritage est inestimable et il aura largement contribué à la diffusion du blues auprès de tous les publics. En effet, pour le public américain en général et pour le public noir de Chicago en particulier, ou encore pour le public blanc européen, il aura été un véritable ambassadeur du blues.
En attendant l'analyse complète du style de Big Bill Broonzy dans la seconde partie de cet article, vous pouvez déjà écouter quelques titres qui ont largement contribué en faire une véritable légende du blues, celle du dernier des chanteurs de blues vivants, comme il aimait s'autoproclamer. Donc, rendez-vous dans cette partie 2 où vous apprendrez tout sur le style du maitre (finger picking à 4 doigts, jeu note à note au pouce ou au médiator, formules rythmiques, tonalités , grilles et harmonies de prédilection, gammes utilisées, effets de jeu). A suivre...
JJ RÉBILLARD
POUR EN SAVOIR PLUS
Big Bill Blues Original Version 1928
Big Bill Blues 1935 Orchestral Version
Saturday Night Rub 1930
Hey Hey (repris notamment par Eric Clapton dans son album culte Unplugged)
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6 août 2019 16:36
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Après Charley Patton, Leadbelly et Lonnie Johnson un quatrième article pour cette nouvelle série de portraits consacrés aux légendes du blues. Ces portraits se veulent à la fois des stories, des histoires de vie mais aussi des analyses de style où vous découvrirez tout ce qui façonne le son et le phrasé des légendes du blues. A noter que l’on s’intéresse ici spécifiquement aux guitaristes. Nous sommes toujours avec les pionniers et nous allons à présent découvrir un autre grand du Delta Blues, Mississippi John Hurt.
PLUS SONGSTER QUE BLUESMAN
Avant toute chose et comme pour les articles consacrés aux pionniers, je vous engage à relire l’introduction de cette rubrique Blues Secrets. Elle est consacrée aux hollers qui sont la base du langage blues et dont la trace est encore très présente chez les premiers bluesmen.
Cette fois, retour dans le Delta du Mississippi en 1892. C’est en cette année, le 3 mars plus exactement (alors que l’année 1893 a longtemps fait référence), que John Smith Hurt alias Mississippi John Hurt voit le jour à Teoc, Mississippi.
Il grandit à Avalon au sein de petites communautés agricoles qui cultivent notamment le coton. La ville de Greenwood n’est pas loin, véritable foyer du blues et lieu de naissance de son contemporain Furry Lewis, célèbre guitariste de country blues. C’est également Greenwood qui abrite la maison où Robert Johnson est décédé en 1938. Hurt est un autodidacte qui commence la guitare à l’âge de 9 ans sur un instrument qu’il surnomme Black Annie.
Pour la petite histoire, il s’agirait de la guitare qu’un ami de sa mère a mise en pension chez les Hurt. En effet, il y réside souvent tout en rendant fréquemment visite à une dame habitant à proximité. Dès que l’instrument est libre, le jeune Hurt en profite largement. Il progresse rapidement et devient un spécialiste du country blues traditionnel. Mais Mississipi John Hurt n’est pas un bluesman tel qu’on l’entend au sens classique du terme mais plutôt un songster avec un riche répertoire de chansons populaires.
DES SOIRÉES DANSANTES AUX SESSIONS A NEW YORK
Il les interprète en ajoutant sa touche personnelle, se forgeant ainsi un style unique qui le rend d’abord célèbre au plan local. Il anime effectivement bien des soirées organisées par ses voisins avec ce répertoire très dansant, un vrai phonographe ambulant à l’époque où la radio n’a pas encore envahi les foyers. C’est ainsi que l’amuseur du samedi soir va avoir l’occasion de se faire connaître, alors qu’il travaille par ailleurs comme ouvrier agricole ou métayer pendant ces années 20.
Il rencontre le fameux violoniste et guitariste de country music Willie Narmour avec lequel il joue et se lie d’amitié. Celui-ci ayant l’occasion d’enregistrer pour Okeh Records le recommande au producteur Tommy Rockwell. D’abord auditionné chez lui, il participe à une première session d’enregistrement à Memphis puis à une seconde session à New York…sous la direction du grand Lonnie Johnson (voir l’article consacré au maitre des maitres dans Blues Secrets).
Ces sessions de 1928 donnent naissance à 14 chefs d’œuvre de country blues et de ballades aux accents gospel. Malheureusement ces enregistrements sont des échecs commerciaux. Puis Okeh Records disparaît avec la Grande Dépression. Hurt retourne à Avalon, retrouve ses activités de métayer et ses soirées dansantes, bon père de famille et géniteur d’une grande famille de…14 enfants! A priori, Hurt est définitivement oublié du grand public. Ce n’est qu’en 1963 que Tom Hoskins, un aventurier collecteur de folkore acharné, guidé par les paroles d’un titre de Hurt, Avalon My Home (Avalon Blues), retrouve son auteur.
MIEUX VAUT TARD QUE JAMAIS…
Celui-ci ne comprendra jamais qu’un titre enregistré 35 ans plus tôt au cours de sessions à 20 dollars le titre lui permette de connaître cette gloire tardive durant les trois dernières années de sa vie. Du festival de Newport aux salles de concert de Washington en passant par le festival Phidadelphie Folk, il laissera le souvenir d’un conteur et de chanteur inspiré mais encore plus celui d’un guitariste remarquable qui inspirera toute une génération de musiciens des années 60 comme Stephan Grossman ou Doc Watson, pour ne citer qu’eux.
Car Mississippi John Hurt n’a absolument rien perdu de ses talents de guitariste et a continué à jouer durant toutes ces années. De cette dernière partie de sa carrière, on retiendra trois albums pour Vanguard Records et pratiquement tout son répertoire enregistré pour la Library of Congress. Toute l’œuvre du maitre est ainsi archivée telle un trésor et sa vie s’achève à Grenade (Mississippi) le 2 novembre 1966, où il décède d’une crise cardiaque.
DELTA BLUES ATYPIQUE
Le style de Mississippi John Hurt est un savant mélange de country music, de blues, de gospel, de bluegrass et de musique traditionnelle ancienne et populaire. Son jeu redoutablement fin et précis à la main droite en finger picking, avec ses basses régulières subtilement accentuées, peut être considéré comme une anomalie pour un musicien issu du Delta.
Ce type de jeu est en effet beaucoup plus fréquent sur la côte est des Etats Unis où il pourrait être apparenté à l’East Coast Blues d’un Blind Blake. A noter que le finger picking de Hurt est largement basé sur deux ou trois doigts (pouce, index et majeur).
Côté rythmique, le jeu de Hurt est très binaire, comme chez les pionniers du Delta. A noter un léger swing feel qui apparaît assez souvent mais est très subtil. Au plan harmonique, on n’est pas vraiment fidèle à la grille de blues traditionnelle. En effet, le style des pères fondateurs respecte souvent le principe des hollers. Dans ce cas, on a un riff unique basé sur un seul accord et de nombreuses variantes avec des liaisons mélodiques. C’est le cas dans un titre comme John Henry.
Par ailleurs, Mississippi John Hurt joue aussi des grilles basées sur plusieurs accords mais elles sont caractéristiques du country blues (que l’on retrouve aussi dans l’East Coast Blues) et donc proches de la country music ou parfois des ballades de la musique populaire. Mais on y retrouve les accords générateurs de la grille de blues classique dans la plupart des cas. Hurt ne joue pas à proprement parler en solo mais son jeu est basé sur des liaisons mélodiques en forme d’ornements sur les accords.
Ces liaisons mélodiques sont construites sur les gammes de blues aux différents stades mais comme elles partent généralement de la fondamentale de chaque accord, on peut considérer que les gammes de blues au troisième stade sont très représentées.
Hurt joue aussi en slide mais c’est moins fréquent. Dans ce cas, il conserve son jeu classique en finger picking en ajoutant de petites phrases au bottleneck. Dans l’ensemble, la sophistication précoce de son jeu est un élément majeur de son style impeccable.
Enfin, en consultant le site superbement documenté de Weenie Campbell, on s’aperçoit que Mississipi John Hurt utilise le plus souvent un accordage standard mais qu’il joue dans de nombreuses tonalités.
Il est aussi l’aise en Do qu’en Mi, en Ré, en Sol ou en La ce qui est rare chez les pionniers. Pour les open, il en utilise également, notamment lorsqu’il utilise le bottleneck et ce sont le spanish tuning (open de G) ou l’open de D.
GUITARES ET SESSIONS
Lors de sa redécouverte Hurt ne possédait pas de guitare. Quand il reprend les sessions live et les enregistrements, on peut le voir à dès 1963 avec une Gibson J-45 mais il lui préfére rapidement une Guild F30. Pour les sessions de Vanguard, il joue sur une Martin OM-45 de 1930 prêtée par Stefan Grossman. Pour écouter Mississippi John Hurt, on dispose de nombreux enregistrements parmi lesquels 1928 Sessions qui proposent de découvrir ses premières sessions. Un bijou!! Chez Vanguard, des publications plus récentes sont également à recommander comme Today! ou The Immortal Mississippi John Hurt.
JJ RÉBILLARD
Tous les accordages de Mississippi John Hurt
https://weeniecampbell.com/wiki/index.php?title=John_Hurt_Library_of_Congress_Recordings:_Positions/Tunings_and_Keys
John Henry (1965)
https://www.youtube.com/watch?v=VoRnce4nUAo
You Got To Walk That Lonesome Valley
https://www.youtube.com/watch?v=85BvT5X6WSo
King of the Blues Full Album
https://www.youtube.com/watch?v=C7gVZmzAsBo
Avalon Blues
https://www.youtube.com/watch?v=klcDgu2f_pQ
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15 juillet 2019 16:47
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 Voici la seconde partie de cet article consacré à Lonnie Johnson dans laquelle vous allez découvrir le style et les différentes techniques utilisées par le maitre des maitres.
TUNING DROPPED D-G
Avant toute chose, il faut citer l’open favori de Lonnie. C’est le Tuning Dropped D-G (D-G-D-G-D-G-B-E) comme dans Woke Up With the Blues In My Fingers que l’on peut jouer sans capo mais aussi en capo case 1.
Cet open ressemble beaucoup à celui de G mais il se termine par un Mi sur la première corde, ce qui permet de jouer tous les accords sur les 4 cordes aigues dans leurs positions standards.
Et lorsque l’on joue en Ré on a les basses des deux premiers accords du blues classiques (D et G) à vide sur les 5ème et 6ème cordes à vide. On retrouve encore cet accordage dans Away Down In The Alley Blues mais avec un capo 2ème case.
En effet, à l’instar de nombreux pionniers, Lonnie Johnson utilise fréquemment le capodastre à ses débuts, ce qui lui permet de changer de tonalité et de suivre sa tessiture vocale tout en conservant son open Dropped D-G.
FINGER PICKING ET FLAT PICKING
Son finger style est très évolué et basé sur le principe de la basse monotonique ou basse bourdon mais celle-ci suit la grille harmonique. La basse change donc en fonction des accords mais reste identique tout au long de chacun d’entre eux.
Le jeu de Lonnie est bien sûr largement ponctué de liaisons mélodiques qui mélangent arpèges et gammes de blues, un principe qu’il exploitera ensuite dans son jeu note à note au médiator.
Côté flat-picking, il est à peu près établi que Lonnie Johnson s’est inspiré du flamenco pour créer sa technique de solo. Le flamenco a été introduit au Texas par les vaqueros mexicains qui l’avaient connu eux mêmes, non des conquistadores mais des colons espagnols.
On sait que ce style est largement imprégné d’une floraison d’arpèges (accords joués note à note). Dès lors, il n’y a rien d’étonnant à ce que le flamenco ait été à l’origine de la guitare lead moderne.
GAMMES DE BLUES AU 3ème STADE
 Lonnie Jonhnson a mixé ces arpèges avec les gammes pentatoniques mineures et majeures pour créer la gamme de blues dans son extension la plus vaste, les gammes de blues au 3ème stade...et révolutionner au passage la guitare, comme la musique du vingtième siècle.
Bien qu’il soit foncièrement blues, le jeu de Lonnie Johnson est très jazzy. Son style est d’une fluidité incomparable qui n’a jamais été égalée sauf peut-être par Mark Knopfler qui a repris l’héritage dans un contexte plus rock et plus actuel.
Ce jeu très jazzy est vraiment l’invention de ce maitre de la guitare. Avant lui, on ne connaît personne qui joue de cette façon, sauf peut-être Eddie Lang avec lequel il enregistre un Blind Lemon Jefferson Tribute.
Voici parmi tant d’autres opus les albums à posséder absolument pour cerner l’ensemble de la carrière de ce maitre absolu : Mr Johnson’s Blues, Eddie Lang and Lonnie Johnson vol 1 & 2, The Originator of Modern Guitar, Blues by Lonnie Johnson, Two Tone Stomp.
LES GUITARES DE LONNIE JOHNSON
Pour conclure ce portrait, il me semblait indispensable de vous parler des guitares utilisées par le maitre. Retrouver les guitares sur lesquelles il jouait n’a pas été une mince affaire et j’avoue y avoir passé un certain temps.
Commençons avec les guitares acoustiques : durant les premières années de sa carrière, Lonnie Johnson utilise une Parlor, petite guitare acoustique favorite des musiciens de blues du début du XXème siècle (son format séduisait aussi les musiciens itinérants nombreux à l’époque).
 Leur production a été assez rapidement arrêtée au détriment de guitares plus grandes au son plus puissant. Mais elles sont réapparues avec les folk singers des années 60 comme Bob Dylan qui les ont remises sur le devant de la scène.
Parmi les fabricants, on citera Framus, Eko (j’en ai une de 1969 que vous pouvez voir dans différents articles parus sur ce blog) ou Martin. Et justement, chez Martin, Lonnie Johnson a beaucoup utilisé la 00-21 (à gauche).
On le voit aussi souvent jouer sur une Gibson SJ100 ou encore sur la fameuse Harmony Monterey Archtop avec chevalet suspendu et cordier métal qui agit un peu comme un résonateur avec pour conséquence un effet de réverbe naturelle.
 Pour les guitares électriques, sa guitare favorite est une Kay Value Leader (une guitare produite par Kay à partir de 1961), qu’il utilise surtout dans les années 60 à la fin de sa carrière.
Ce modèle est décliné en 3 versions, avec 1, 2 ou 3 micros. A droite l'impressionnant modèle à 3 micros avec un réglage de volume et un réglage de tonalité pour chaque micro !
Lonnie a toujours préféré la version à un micro situé côté manche. On peut le voir aussi avec une Gibson ES330, un modèle créé en 1959. Enfin, à la fin des années 40 et dans les années 50, il joue aussi sur sa Gibson SJ100 sur laquelle il ajoute un micro dans la rosace comme beaucoup de bluesmen à l’époque.
POUR EN SAVOIR PLUS
Voici d’abord trois liens qui me semblent très intéressants où vous retrouverez un spécialiste de Lonnie Johnson, « Daddystovepipe ».
Blues In My Fingers Lonnie Johnson style & open Dropped D-G :
Tab part Blues In My Fingers : Pour avoir la part, suivez le lien qui figure sous la video (free tab part on my site)
Woke Up With the Blues In My Fingers tuto :
Ensuite, quelques titres incontournables avec notamment le premier solo de guitare (6 88 Glide).
Woke Up With the Blues In My Fingers original version
Away Down In The Alley Blues
JJ RÉBILLARD
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27 juin 2019 17:16
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 Après Charley Patton et Leadbelly, un troisième article pour cette nouvelle série de portraits consacrés aux légendes du blues. Ces portraits se veulent à la fois des stories, des histoires de vie mais aussi des analyses de style où vous découvrirez tout ce qui façonne le son et le phrasé des légendes du blues. A noter que l’on s’intéresse ici spécifiquement aux guitaristes. Au programme cette fois, et toujours au chapitre des pionniers, l’immense Lonnie Johnson. Cet article fera l’objet de deux parties car il y a vraiment beaucoup de choses à raconter à son sujet…
LE MAITRE DE TOUS LES GUITARISTES
Avant toute chose et comme pour les articles consacrés aux pionniers, je vous engage à relire l’introduction de cette rubrique Blues Secrets. Elle est consacrée aux hollers qui sont la base du langage blues et dont la trace est encore très présente chez les premiers bluesmen. N’oublions pas à ce sujet que Lonnie Johnson a accompagné la légende du blues, Texas Alexander, l’artisan de la transformation et de l’évolution des hollers vers le blues moderne.
Lonnie Johnson est certainement le maitre de tous les guitaristes. Il a en effet entre autres inventé la guitare solo, c’est à dire le jeu note à note. Grande influence pour une légion de guitaristes parmi lesquels B.B. King, T-Bone Walker, ou Skip James, il a été une des principales sources d’inspiration pour Django Reinhardt et Charlie Christian.
Il est également le maitre des maitres pour Jimi Hendrix, Eric Clapton ou Mark Knopfler pour ne citer qu’eux, car la liste serait interminable. Il a aussi enregistré avec les plus grands comme Eddie Lang, Duke Ellington ou encore Louis Armstrong. Enfin, pour l’anecdote, un certain Robert Johnson essayait même de se faire passer pour son frère…
 Lonnie Jonhson est né en 1899 à La Nouvelle Orléans, mais comme beaucoup de pionniers, la date exacte est incertaine et des sources situent sa naissance en 1894. Issu d’une famille de musiciens, il étudie le violon, le piano, la mandoline et la guitare, mais c’est autour de cette dernière qu’il articule sa carrière musicale.
Adolescent, il commence à se produire dans des banquets et mariages avec son frère James. Parti en Angleterre en 1917, il échappe de ce fait à la fameuse épidémie de grippe espagnole qui décime littéralement sa famille à l’exception de son frère James.
Ils s’installent à Saint Louis en 1921 et forment un duo, puis Lonnie se lance dans une carrière prolifique dès 1925 où il remporte un concours de blues à Saint Louis dont le prix est un contrat d’enregistrement avec Okeh Records.
INVENTEUR DE LA GUITARE SOLO
 Chanteur et guitariste de blues émérite, il enregistre la bagatelle de 130 faces entre 1925 et 1932 qui font de lui un artiste très populaire et c’est également à cette époque qu’on le retrouve aux côtés de Eddie Lang, Louis Armstrong ou Duke Ellington.
Inventeur du premier solo de guitare avec le titre 6 88 Glide (à écouter sur l'album Two Tone Stomp), Lonnie Johnson s’illustre notamment comme compositeur de magnifiques œuvres instrumentales où l’improvisation est le maitre mot.
Dans les faits, si Lonnie Johnson a parfois été considéré comme un chanteur de blues urbain, il n’en reste pas moins un maitre de la guitare blues mais aussi de la guitare jazz comme on peut l’entendre dans 6 88 Glide, titre avec lequel on comprend mieux l’influence qu’il a exercé sur Django ou Charlie Christian.
Après un passage à vide dû à un problème avec le producteur Lester Melrose, il enregistre à nouveau beaucoup entre 1937 et 1942. Revenu au premier plan après la guerre mais à la guitare électrique cette fois, il connaît une nouvelle éclipse entre 1953 et 1959 où il est redécouvert alors qu’il est portier dans un hôtel de Phidadelphie.
Il reste une des figures de proue de la guitare lead à l’occasion du blues revival des sixties où il émerveille les foules avec ses talents extraordinaires. Infatigable, il jouera ainsi jusqu’à sa mort en 1970.
UN STYLE ET UNE TECHNIQUE UNIVERSELS
Lonnie Johnson avait un talent incroyable et un style tellement universel qu’il reste un véritable monument aujourd’hui. Ainsi quand on écoute Django, B.B. King, T-Bone Walker ou encore Eric Clapton dans ses célèbres reprises de blues acoustique, on entend Lonnie Jonhson. Sa force correspond notamment à sa grande maitrise de différents styles et techniques.
 Pour le style, le blues texan bien sûr mais aussi des accents de ragtime ou des arpèges qui évoquent le flamenco, des chansons populaires rurales autant qu’urbaines, et le jazz car Lonnie est un véritable créateur sur ce plan.
Côté technique, notre homme maitrise aussi bien le finger picking que le flat picking, n’oublions pas qu’il est l’inventeur du solo note à note joué au médiator. Le finger picking est surtout le fait des premières années de sa carrière puisqu’il joue ensuite de plus en plus en flat picking.
Je vous retrouve dans la partie 2 de ce portrait. A suivre, mais en attendant, vous pouvez écouter le premier solo de l'histoire de la guitare ici…
6 88 Glide : https://www.youtube.com/watch?v=Yd2zQMv1oTY
JJ RÉBILLARD
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28 mai 2019 19:32
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 Après Charley Patton, un deuxième article pour cette nouvelle série de portraits consacrés aux légendes du blues. Ces portraits se veulent à la fois des stories, des histoires de vie mais aussi des analyses de style où vous découvrirez tout ce qui façonne le son et le phrasé des légendes du blues. A noter que l’on s’intéresse ici spécifiquement aux guitaristes. Cette fois, et toujours au chapitre des pionniers, nous allons parler de Leadbelly.
UN MULTI-INSTRUMENTISTE PRÉCOCE
Avant toute chose et comme pour les articles consacrés aux pionniers, je vous engage à relire l’introduction de cette rubrique Blues Secrets. Elle est consacrée aux hollers qui sont la base du langage blues et dont la trace est encore très présente chez les premiers bluesmen. Second pionnier parmi les pionniers, le fameux Leadbelly de son vrai nom Walter Boyd dit Huddie Leadbetter, est né en Louisianne en janvier 1888, bien que certaines sources évoquent l’année 1889 et même parfois 1885. Toutefois, 1888 reste la version la plus plausible.
Il n’est pas seulement guitariste mais multi-instrumentiste et son premier instrument est un accordéon qu’il reçoit très jeune de son oncle puis il se met à la guitare mais on le retrouve aussi au piano, à la mandoline, à l’harmonica et même au violon. Arrivé au Texas à l’âge de cinq ans, Leadbelly est précoce, joue de la guitare et chante dès l’âge de 15 ans, puis c’est justement au piano qu’on le retrouve un an plus tard dans les maisons closes de Shreverport !
C’est le début d’une carrière mouvementée qui le voit rapidement parcourir les routes du Texas où l’on raconte même qu’il aurait servi de guide à Blind Lemon Jefferson. Marié à l’aube de la vingtaine et jeune père de famille, Leadbelly reste un coureur de jupons invétéré, grand bagarreur n’hésitant pas à se servir de son colt au besoin, comme en 1917 où il passe par les armes un rival à propos d’une sombre histoire de fille et écope de 30 ans de prison au pénitencier d’Angola. En raison de sa bonne conduite, il est éligible pour une libération anticipée le 1er août 1934.
BLUESMAN OU SONGSTER ?
 La longue séquence en prison est paradoxalement fondamentale pour la carrière musicale de Leadbelly car ses talents de guitariste s’y affirmeront. Il les utilise en effet pour distraire prisonniers et gardiens, un vrai bon public au bout du compte. Et ils vont aussi l’aider à sortir de prison car les frères Lomax, grands collecteurs de musique pour la Bibliothèque du Congrès entendent parler de lui et sont très sensibles à l’étendue de son répertoire et à sa carrière qui est déjà considérable, même si une bonne partie a pour toile de fond la prison.
Alan Lomax réussit l’exploit de faire libérer Leadbelly qui devient le chauffeur des deux frères qui l’enregistrent en 1933 et 1934 avant qu’il grave plus de 40 faces pour l’American Record Corporation dont 5 seulement seront publiées. L’essentiel du répertoire blues de Leadbelly date de cette époque (1935-1940) car son style évolue ensuite en s’éloignant de ses racines blues. Il est en effet bientôt le pionnier du nouveau courant folk urbain de Greenwich Village et on le retrouve aux côtés d’artistes comme Woodie Guthrie ou Pete Seeger.
Durant les années 40, Leadbelly connaît une popularité croissante mais il s’éteint malheureusement avec la décennie en 1949, victime de la terrible maladie de Charcot. En résumé, bien qu’il soit un bluesman dans l’âme, notamment au début de sa carrière, Leadbelly est un songster ou raconteur d’histoires et son répertoire est très varié. Berceuses, chants de cow-boys, country songs, tout peut y passer avec Leadbelly et bien sûr le blues. Un style de blues que l’on peut considérer comme une variante du blues texan mais qu’il rendra bien plus populaire pour le public blanc que pour le public noir où son écho est plus limité.
THE KING OF 12 STRINGS GUITAR
 La guitare 12 cordes est apparue à la fin du 19ème siècle au Texas puis dans le New Jersey où la 12 cordes la plus célèbre est la Stella fabriquée par Oscar Schmidt. Son ambassadeur emblématique est certainement Leadbelly, autoproclamé the King of the 12 Strings Guitar. Comme l’homme, son style de guitare est puissant et il utilise avec personnalité sa Stella en pratiquant un jeu à base de basses alternées à différents tempos mais très impressionnant sur les tempos les plus rapides. Il se sert d’ailleurs principalement de ce type de battement.
Côté style, si vous voulez avoir la régularité et la puissance de jeu de Leadbelly, je vous conseille d’utiliser un onglet pour le pouce. En effet, s’il n’a jamais été considéré comme un virtuose à l’instar d’un Blind Blake, sa mise en place n’en demeure pas moins redoutable. Un autre point essentiel réside dans son accordage très particulier. Avec des cordes de fort tirant, il respecte les intervalles de l’accordage classique (E, A, D, G, B, E) mais il s’accorde régulièrement 5 demi-tons en dessous soit (B, E, A, D, F#, B) voire 6 demi-tons en dessous.
Je vous donne ci-dessous un lien qui vous permet d’avoir tous les accordages utilisés dans l’album King of the 12 strings Guitar (Columbia) grâce au travail remarquable de Chris Berry & Andrew Mullins…Ca laisse rêveur. On trouve plus rarement des open tunings, mis à part l’open de G (D, G, D, G, B, D) lorsqu’il joue (assez rarement) en slide comme dans Packin’ Trunk. Côté harmonique, Leadbelly utilise bien sûr les séquences classiques du blues mais le format en 12 mesures n’est pas fréquent.
Les accords sont les 3 accords générateurs (E, A, B en E) mais leur distribution n’est la pas la même que dans la grille classique et sont souvent répartis sur des cycles de 8 mesures. Ceci est assez logique lorsque l’on sait que son jeu s’inspire autant des country songs que du blues.
Les liaisons mélodiques sont principalement exécutées sur les basses et constituent souvent des riffs qui peuvent être considérés comme les bases du blues moderne et du rock. Enfin, sur le plan rythmique, on est très binaire et le ternaire apparaît seulement et assez rarement sous forme d’un léger swing feel.
 Parmi les titres les plus connus de Leadbelly, Where Did You Sleep Last Night est certainement la balade bluesy number one, notamment du fait de la reprise de Nirvana.
Mais si vous voulez écouter son blues, alors il y a Packin’ Trunk, Becky Deem She Was a Gamblin’ Girl, Four Day Worry Blues, Ox Drivin Blues ou T.B. Woman Blues, titres que vous trouverez dans le fameux album King of the 12 strings guitar.
Car même s’il s’était ainsi autoproclamé, Leadbelly était vraiment le roi de la 12 cordes...
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