Blog JJ Rébillard |
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20 déc. 2019 20:51
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Voici la seconde partie de cet article consacré à Big Bill Broonzy pour tout savoir sur le style et les techniques utilisées par ce guitariste génial et novateur qui n'a eu d'autre égal qu'un certain Lonnie Johnson.
UN GÉNIE DE LA GUITARE
Big Bill Broonzy est un maitre sans équivalent, à l’exception du légendaire Lonnie Johnson. A partir de ses influences qui sont principalement celles de ses contemporains ( Jimmie Rodgers, Blind Blake, Son House et Blind Lemon Jefferson), Big Bill crée un style unique caractérisé par une fusion des genres et une virtuosité incroyable.
C’est un mix de ragtime, de country blues, de blues urbain, de chansons jazzy, de jazz, de traditionnels folk et de spirituals interprété avec une technique hors du commun. Surprenant, quand on sait que notre homme n’a commencé la guitare qu’en 1920 alors qu’il avait plus de vingt ans.
Toutefois, il avait déjà une grande maturité musicale à ce moment, en particulier du fait de son ouverture d’esprit. Au départ Big Bill est un chanteur à la voix puissante qui déclame des blues aux paroles pleines d’un humour au second degré caractéristique des spirituals songs.
Mais il est aussi un guitariste inventif et génial, un véritable virtuose. Il utilise toutes les techniques, sachant aussi bien jouer en finger picking qu’en jeu note à note, au pouce comme au médiator.
UN FINGER PICKING SANS ÉGAL
Son finger picking est complexe et basé sur l’utilisation de quatre doigts de la main droite. Il effectue ainsi un véritable mouvement de balancier avec son pouce sur les cordes graves tout en jouant la mélodie avec les trois autres doigts sur les cordes aiguës. Une vraie prouesse technique et un jeu difficile à reproduire. Mais Big Bill pratique aussi le jeu note à note en utilisant le médiator, surtout dans sa période guitares amplifiées, mais aussi le pouce comme dans Trouble In My Mind. Pour ce jeu note à note, on citera aussi New Shake-Em on Down ou Summertime Blues.
 Côté rythme, Big Bill Broonzy est un adepte du swing feel ou shuffle et du 12/8, des formules qui sont donc exclusivement ternaires. On peut trouver des formules binaires mais ce sont de très rares exceptions au début des années 20.
Il joue également dans de nombreuses tonalités et se révèle un véritable spécialiste du blues en Do, tonalité largement présente (et plus que fréquente en ragtime) mais pour ma part, j’ai fait une enquête assez approfondie et le résultat est formel : c’est le blues en Sol qui est majoritaire.
TONALITÉS ET HARMONIES
Ensuite, il joue aussi en Mi, en Fa, en Ré, en Lab et en Sib. Toutefois, pour ces deux dernières tonalités, il est parfois difficile de confirmer car à l’époque, les enregistreurs sont encore assez rudimentaires et leur vitesse n’est pas toujours fiable, notamment pour des questions de tension.
Même un instrument comme le piano, lorsqu’il est présent, ne permet pas toujours d’avoir une certitude sur l’accordage général…De plus, les accordages sont parfois légèrement au dessus ou au dessous du diapason et l’accordage un demi-ton en dessous est possible.
Les grilles harmoniques sont souvent des classiques en 12 mesures (Match Box Blues, Hey Hey)) ou 13 mesures (Rocking Chair Blues) lorsque les textes l’exigent, comme chez les pionniers. On trouve parfois des variantes d’harmonisation souvent empruntées au ragtime (House Rent Stomp, Lonesome Road Blues, Saturday Night Rub). Mais Big Bill Broonzy est aussi un spécialiste des grilles en 8 mesures (Key To The Highway, Midnight Special).
Les harmonies sont les accords générateurs classiques mais elles sont généralement enrichies (accords de 4 sons voire 5 sons). Lorsque Big Bill accompagne certains artistes comme Jazz Gillum, ou enregistre en compagnie de Big Maceo ou Buster Benett, les grilles évoluent vers le jazz avec des accords de passages de type 7ème diminuée et des substitutions (voir les albums The War And Postwar years). On note donc une très grande variété harmonique qui correspond à la multiplicité des genres à la base de son style.
UN SPÉCIALISTE DES GAMMES DE BLUES AU 3ÈME STADE
 Enfin, côté mélodique, on retrouve le jeu sur les pentatoniques mineures et parfois majeures (ces dernières étant moins fréquentes que chez son alter ego Lonnie Johnson) auxquelles on ajoute les blue notes. Mais les gammes les plus fréquentes, toujours dans l’esprit des pionniers, sont les gammes de blues au troisième stade.
Big Bill Broonzy intègre les liaisons mélodiques dans ses rythmiques en finger picking (majorité des cas) selon un système question-réponse, sauf dans le cas du jeu note à note où elles constituent l’essentiel du phrasé. Il est également un des premiers à utiliser de nombreux effets de jeu de la main gauche, en particulier les bends qui sont une véritable marque de fabrique.
Pour conclure, ce qui reste le fait le plus marquant de son jeu est certainement le groove permanent et implacable qui le sous-tend en permanence. De cette façon, il assure une rythmique impeccable tout en ajoutant des liaisons mélodiques du meilleur goût. Un grand maitre qui n’a d’égal (on ne cessera de le répéter) que le fameux Lonnie Johnson…
GUITARES ET DISCOGRAPHIE
La guitare fétiche de Big Bill Broonzy est la 1920 Gibson Style O sur laquelle il joue majoritairement durant les années 20 et 30 et que l’on peut voir sur de nombreuses photos et autres pochettes d’album (voir part 1). Il joue aussi souvent sur une Gibson L7 à partir des années 30.
On trouve encore une Epiphone DeLuxe Arch Top 1938 à la fin des années 30 et au début des années 40. Enfin, dans la dernière partie de sa carrière, Big Bill joues sur une Martin 000-28 ( fin des années 40 et années 50). Mais l’instrument le plus marquant est la fameuse 1920 Gibson Style O qui reste profondément attachée à son image.
Côté discographie, on conseillera les albums All The Best, The Youg Big Bill Broonzy 1928-1935, The War And Postwar years (3 volumes) qui recoupent l’ensemble de sa carrière, notamment l’album All The Best où l’on trouve les grandes caractéristiques de son style dont je vous ai parlé précédemment. Enfin, les albums Big Bill Broonzy 1932-1942 ou Do That Guitar Rag complèteront la liste des opus de ce grand novateur qui a laissé une empreinte unique et éternelle sur le blues.
JJ RÉBILLARD
POUR EN SAVOIR PLUS
Big Bill Blues Original Version 1928
https://www.youtube.com/watch?v=nBUUxzzZm4g
Big Bill Blues 1935 Orchestral Version
https://www.youtube.com/watch?v=ykTm-8qDScQ
Saturday Night Rub 1930
https://www.youtube.com/watch?v=NoiJh5FuYzU
https://www.youtube.com/watch?v=B0HgY2cuhB8
Hey Hey
https://www.youtube.com/watch?v=QtQZ4Oya0gw
The Glory Of Love 1957
https://www.youtube.com/watch?v=iJBhfwP6VSQ
Trouble In My Mind (excellent exemple de blues avec liaisons mélodiques note à note jouées au pouce)
https://www.youtube.com/watch?v=Ftkzo-otEyo
https://www.youtube.com/watch?v=r0dt7Zeu01s&list=RDXHH-jmj7DJQ&index=2
New Shake-Em on Down (bel exemple de solo note à note (1938)
https://www.youtube.com/watch?v=U_wkm3F1M5A
Album All The Best
https://www.youtube.com/watch?v=430dZ5wNCnk
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5 déc. 2019 16:58
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 Voici la dernière partie de cet article consacré à mon ami et bassiste de coeur Gilles Malapert qui nous a quittés le 22 novembre 2019 pour rejoindre le paradis des bassistes.
La photo ci-contre montre un Bulle en pleine action aux côtés de Renaud Lemaitre (drums), Brother Yacin (vocals) et moi même (guitare, oud et mandole) aux vendredis du canal à Malestroit (bretagne) en août 2015. Magnifique souvenir...
AU SERVICE DE LA MUSIQUE ET DE LA PÉDAGOGIE
Naturellement, durant toutes ces années, nous restions en étroit contact, et j’étais l’éditeur de ses six méthodes : Complete Electric Bass, l’équivalent de Complete Electric Guitars pour la basse en 2 volumes.
Mais aussi Reggae Bass, l'équivalent de Reggae Guitars pour la basse, Bass Guitar Jam volume 1 Blues Sessions et volume 2 Rock Sessions et bien sûr Débutant Guitare Basse.
En tout, avec les Bass Collector’s et les GP, des centaines de milliers de books vendus et un musicien au service de la pédagogie qui a forgé des générations de bassistes.
 On signalera encore sa collaboration avec Brother Yacin’ sur plusieurs titres de l’album Dans l’Amour pas dans la Haine. Curieusement, ce n’était pas Gilles qui tenait la basse dans mon album Out Of Nowhere en 1998 puisque la rythmique était celle de GC (Thierry Le Gall aux drums et Patrick Chartol à la basse).
Il ne jouait pas non plus dans l’album des Soul Warriors où j’étais multi-instrumentiste et donc également bassiste à l'exception du titre au groove implacable Creepy Money, groove directement insufflé par notre ami.
On pourrait dire que notre éloignement géographique (même s’il n’est plus un obstacle aujourd’hui) a favorisé l’évolution parallèle de nos carrières.
Mais, la vie est ainsi faite et cela ne nuisait nullement à notre éternelle complicité. Chacun suivait simplement sa route en fonction de ce qui se présentait.
Et on allait justement s’associer à nouveau sur un projet dont je ne voulais pas vous parler tout de suite car la sortie en est très proche et que je réservais l’effet de surprise mais dont je vais vous révéler quelques lignes, circonstances obligent.
Comme je l’ai dit à de maintes reprises dans tout ce qui précède, Gilles était un musicien expérimental et il avait si j’ose dire le nez pour sentir les bons projets.
ORIENTAL BLUES
 Il se trouve que par le plus pur des hasards, j’ai joué un jour de mars 2018 un phrasé blues sur mon oud. J’ai trouvé que ça sonnait fantastiquement et composé un premier titre en me disant que du blues à l’oud se suffisait en soi et que je pouvais mener ce projet en solo.
C’était sans compter sur mon Bulle. Lorsqu’il entendit cela en août 2018, il fut immédiatement intéressé par l’idée et en profita pour s’initier à la musique orientale car le projet avait pour nom Oriental Blues, à la frontière entre le Delta du Nil et le Delta du Mississipi en passant par les Touaregs et l’Afrique sub-saharienne.
Un mix assez particulier et original, car ayant cherché des projets de ce type autour du blues et de l’oud, je n’ai pas trouvé grand chose voire rien du tout. Ceci m’a donc renforcé dans mon idée, ainsi que l’enthousiasme des quelques personnes ayant écouté un ou deux titres.
Et le fait que Bulle sente bien l’histoire m’a définitivement convaincu de l’urgence de le produire rapidement, ce que j’ai commencé à faire dès le début de cette année 2019. On a répété à plusieurs reprises avec Gilles, j’ai enregistré les titres avec les ouds définitifs et Bulle m’a fait les basses.
ADIEU L’AMI
Je ne vous en dirai pas plus pour le moment sauf que ce projet est le dernier projet sur lequel Bulle a travaillé. 7 titres sont presque terminés, nous avons également deux vidéos tournées fin août à l’Etang Moderne de Rochefort en Terre en cours de montage.
Normalement tout cela verra le jour en mars ou en avril 2020. Cela sera en quelque sorte le cadeau de sortie de notre ami Bulle. Franchement, tout a été très vite, on était si bien sur la scène de l’Etang Moderne fin août. Il était impossible de prévoir une telle issue à peine trois mois plus tard.
Bulle était l’un des deux meilleurs amis historiques qui me restent, c’était mon frère, un véritable oncle pour mes enfants, mon complice et celui qui m’avait présenté ma femme.
 Je continue ma route mon ami et vais être en communication permanente avec toi pour finir ce projet, même si le paradis des bassistes est un monde parallèle à la fois éloigné et si proche du notre.
Je pense aussi à Gene ta femme et à tes filles Morgane et Lucile auxquelles tu vas terriblement manquer.
Enfin, vous reverrez bientôt Bulle en vidéo avec moi et aurez l’occasion de l’écouter dans le projet Oriental Blues, ce beau cadeau qu’il nous aura réservé avant de nous quitter.
Voilà, je me sens orphelin et inconsolable, vous savez que je n’ai pas l’habitude de m’épancher mais cette fois, il m’était impossible de faire autrement.
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5 déc. 2019 15:59
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 Durant ces années 80, nous sommes toujours restés en étroit contact avec Bulle, même si nos carrières s’établissaient en parallèle.
Pour ma part, je faisais à l’époque beaucoup de séances de studio et étais sous contrat d’artiste avec deux groupes chez Phonogram et Barclay.
Je jouais d’ailleurs avec un bassiste fabuleux, Stéphane Leclerc, un mix entre Paul Mc Cartney pour les compos et Mark King pour la virtuosité, mais il ne m’avait pas pour autant fait oublier mon Bulle.
Puis, à la fin des années 80, je montais Music Play avec mon fidèle ami d’enfance Didier et sortis la méthode Joue de la Guitare sans Solfège.
C’est naturellement que je commençais alors à penser à éditer une méthode de basse avec mon bassiste préféré.
JOUE DE LA BASSE SANS SOLFÈGE
Ce projet ne vit pas le jour toute de suite car Gilles n’enseignait pas encore beaucoup la basse. Mais à partir de 1990, Gilles donna de nombreux cours et encadra différents stages tout en réalisant plusieurs productions vidéo, dans le domaine musical et institutionnel. Lorsque je créais les Editions JJ Rébillard fin 1994 avec pour base de catalogue les méthodes Joue de la Guitare sans Solfège et mes traités d’harmonie, je décidais d’ajouter une méthode de basse.
Et c’est bien sûr Gilles qui la conçut en l’articulant autour du même concept pédagogique que la méthode pour guitare. Joue de la Basse sans Solfège volume 1 sortit en décembre 1994, puis le volume 2 à la fin de 1995. Dans le même temps, Thierry Frébourg co-fondateur avec moi-même du magazine Guitar Collector’s me demanda si je connaissais un bassiste pour effectuer des relevés basse dans Guitar Part. Encore une fois, ce fut évidemment Gilles Malapert que je lui recommandais. Ensuite, vu le succès rencontré par Guitar Collector’s, Bass Collector’s vit le jour en 1996, d’abord un one shot puis une publication trimestrielle.
BASS COLLECTOR’S ET TOTAL SONGS
 Gilles en fut le rédacteur en chef de 1996 à 2000. Dans le même temps, Guitar Part était accompagné d’un CD depuis décembre 1998. Il fallait une rubrique basse et un bassiste pour les Total songs et c’est encore notre ami qui assura les enregistrements aux côtés de Patrice Deschamps.
Dans les deux cas, il assura comme moi dans tous les styles, faisant preuve d’une rare polyvalence et d’une belle virtuosité. Le duo m’assista aussi dans la réalisation des Guitar Oké car il me fallait des équipes pour réaliser l’immense travail demandé par le boss, l’insatiable Thierry Frébourg.
Même si nos carrières évoluaient parallèlement tout en étant étroitement liées, nous avions des rendez-vous réguliers sur scène et nous défendions notamment les couleurs de GP, GC et BC sur le stand Guitar Part des salons de la musique.
Je me rappelle particulièrement des trois salons de 1999, 2000 et 2006. J’ai raconté le salon 1999 dans la rubrique GUITAR PART STORY (PART 13 ET 14), le salon 2000 dans la PART 16 avec dans les deux cas de nombreuses anecdotes croustillantes et je vous engage à retrouver tout cela sur ce blog en rubrique GUITAR PART STORY.
UNE COMPLICITÉ SANS ÉQUIVALENT
En résumé, et notamment en 1999 (avec Patrice Deschamps, Jean-Paul Boquet et un de ses amis batteur), même si nous avons beaucoup joué tous les standards de Jimi Hendrix, Rage, Red Hot, Metallica, Eric Clapton, Stevie Ray Vaughan, ZZ Top, John Lee Hooker…(j’arrête là la liste serait trop longue), nous avons beaucoup improvisé et comme vous le savez, l’improvisation est l’art de la création instantanée. Comme nous avions une complicité sans égal, le groupe reposait largement sur Gilles et moi pour la direction musicale.
Je me souviens que je transmettais verbalement à Gilles les grilles tout en les jouant puis la transmission s’opéra toute seul et nos trois autres amis suivaient de la même façon. Magique, un des plus beaux instants de ma vie sur le plan musical et une belle récompense avec un Manu Dibango qui nous écouta plus d’une demi-heure et nous félicita ensuite. En 2006, le salon et notre show sur le stand Total Guitar fut également de la même veine, mémorable avec des centaines de signatures d’autographes, sur papier, casquettes, on signait même sur des mains, sur des bras et toujours la même complicité avec Gilles…
TREPALAM CHETOUM
 Pour la carrière musicale de Gilles, après la longue séquence Binoche avec lequel il continua à se produire régulièrement, le duo Trepalam Chetoum vit le jour.
Gilles avait toujours été précurseur, il aimait la langue française et on peut dire qu’il fut assez visionnaire puisqu’il créa cette formule que l’on qualifierait aujourd’hui de nouvelle chanson française avec la chanteuse Aurélie Mouchet.
Une fille au caractère bien trempé, aux textes plein d’humour et parfois corrosifs, qui était le pendant idéal d’un Bulle bassiste et guitariste acrobate, bidouilleur de sons et déclencheur de samples.
Trepalam Chetoum sortit trois albums, La Fée Bidouille en 1998, 2e Alboum en 2014 et Demon en 2016. Ce duo magique se produisit encore très récemment en concert en Bretagne à l’Étang Moderne à Rochefort en Terre, village préféré des français et à Malestroit fin juillet 2019.
Il reçut à cette occasion d’excellentes critiques. Comme déjà dit précédemment, Bulle était un musicien expérimental, un chercheur de sons. Son album solo Bulle Space Bass et Poésie Moderne où il assurait la basse, on devrait dire les basses, les guitares, le chant et les programmations sortit en 2008 et connut un certain succès, surtout au plan international.
Suite et fin part 3...
JJ RÉBILLARD
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5 déc. 2019 12:41
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 Gilles Malapert, maitre d’œuvre de Bass Collector et auteur de plusieurs ouvrages aux Editions JJ Rébillard est parti rejoindre le paradis des bassistes ce vendredi 22 novembre 2019.
Inutile de dire ma tristesse car Gilles était un auteur chez moi mais aussi et surtout un ami de très longue date.
Et puis c’était mon bassiste de cœur, un vrai bassiste qui avait commencé la musique avec la basse, pas un guitariste passé à la basse par opportunité.
Un grand musicien quelqu’un d’une extrême gentillesse, doté d’une belle sensibilité, créateur, innovateur et roi de la section rythmique aux côtés de tous les batteurs qui ont joué avec lui durant sa longue carrière.
Cet hommage a pour but d’évoquer son parcours et aussi ma rencontre avec celui qui m’a présenté ma femme il y a bien longtemps…
UN VRAI BASSISTE
Comme je l’ai dit précédemment, Gilles était un vrai bassiste. Il est tombé amoureux de l’instrument à l’aube des années 70 alors qu’il avait tout juste 15 ans. Tout comme moi, Gilles est un autodidacte qui apprend tout à l’oreille, même s’il perfectionne sa technique avec la méthode de Jean Pierre Lambert, la référence de l’époque. La basse ne se pratiquant pas seul, mais en groupe, il passe très vite à l’action et enregistre son premier disque avec le quintet de l’américain Andy Hemler en 1973 et Binoche, l’ami de toujours. Andy, grand pianiste de jazz, lui a d’ailleurs rendu un vibrant hommage.
La suite continue à s’écrire avec Binoche, ce chanteur émérite et son frère d’âme dans la musique. Le groupe s’appelle le Béret Cosmique. J’en profite pour vous raconter ma rencontre avec Gilles qui s’est produite en novembre 1976, le 24 novembre très exactement, c’est à dire il y a 43 ans, un vendredi comme ce 22 novembre, triste anniversaire en quelque sorte mais qui me fait revenir en arrière vers des souvenirs drôles et heureux (enfin, comme vous allez le voir tout le monde ne partagea pas cette opinion).
LA RENCONTRE
 A l’époque, mes deux meilleurs amis étaient Didier, connu au bac à sable en 1960 à l’âge de 4 ans et Daniel alias Dan, rencontré dans un camp d’ados (ça s’appelait comme ça) à l’âge de 15 ans. Didier n’était pas musicien mais suivait ma carrière débutante et Dan était guitariste, un musicien inventif et généreux malheureusement disparu aujourd’hui (Didier est toujours là et on va fêter notre amitié de 60 ans en 2020, pour la petite histoire, c’est avec lui que j’ai créé ma première société d’éditions, Music Play en 1988 et la méthode éponyme Joue de la Guitare sans solfège).
Bref, Didier savait que Dan et moi cherchions un bassiste, un batteur et un chanteur pour monter un groupe autour de nos compos. Il eut l’idée de nous présenter deux musiciens qu’il avait connus au lycée Verlomme à Paris XVème ou plutôt au Quincy, le bar qui jouxtait cet établissement. Ces deux musiciens étaient Gilles Malapert, bassiste de son état et Thierry Achour, alias Binoche. Le flash fut immédiat. Après quelques bières et après avoir refait le monde une première fois, on décida de se retrouver le lendemain pour faire plus ample connaissance.
RÉPÈTE À MARCOUSSIS
Bon, la suite se passe à Marcoussis dans le sud de la région parisienne. Binoche et Gilles avaient une répète avec leur groupe le Béret Cosmique . Je me rappelle bien de cette répète car le groupe comptait deux batteurs et c’était rare à l’époque, notamment en France. Ils utilisaient aussi des magnétophones qui étaient en quelque sorte les ancêtres des samplers pour produire toutes sortes d’effets spéciaux. Novateur là aussi ! Mais il y avait des tensions au sein du groupe où chacun commençait à prendre la tangente pour réaliser des projets plus personnels.
En fait, ce fut certainement leur dernière répète avec cette formule. Cela nous arrangeait bien car nous avions des vues sur le bassiste et le chanteur. On n’allait donc pas terminer la journée comme ça et Didier nous proposa de finir la soirée chez lui (chez ses parents en fait qui étaient absents) en musique. Habitant juste à côté, j’allais chercher mon ampli, un Sims Watts 100 watts transistor mais qui avait un son d’enfer. Je venais également d’acquérir une pédale Electro-Harmonix Small Stone, un phase shifter ou phasing.
ET GILLES DEVINT BULLE
Lorsque l’on jouait avec la modulation en mettant le bouton d’effet à fond, on obtenait un son globuleux qui évoquait des bulles. Gilles me taxa la pédale et en fit son instrument de prédilection de la soirée, mettant l’effet à fond et produisant des bulles tout au long de la nuit qui suivit. C’est ainsi que Gilles devint Bulle et c’est l’origine de son surnom. Une soirée mémorable avec les amplis à un volume sans précédent pour l’immeuble et des voisins que l’on expédia sans ménagement et qui connurent un véritable enfer.
 Suite à cette soirée qui me laissa des souvenirs inoubliables, nous décidâmes de monter un groupe…sans Binoche qui continua sa carrière sans nous et partit un peu plus tard sur Dijon où il devint un véritable monument que l’on respecte toujours à ce jour : musicien, chanteur à la forte personnalité, animateur de radio, organisateur évènementiel, j’en passe et des meilleures.
Notre groupe s’appelait Asgard (dans la mythologie nordique, Asgard est le domaine des Ases, situé au centre du monde, excusez du peu). On était un peu allumés en fait et on commença avec nos guitares acoustiques en jouant dans les bois par tous les temps (la photo à gauche avec Dan, Gilles et moi qui a bien souffert des méfaits du temps date de décembre 76).
ASGARD ET LA SUITE
Mais on jouait aussi bien sûr en version électrique. Il faut reconnaître que l’on prétendait jouer une musique qui n’était pas encore de notre niveau. Entre temps, on avait recruté avec quelques difficultés un batteur puis un chanteur, ainsi qu’un ami qui proposait des performances que l’on pourrait qualifier de prémices du slam.
A l’époque, il n’y avait quasiment pas de studios de répétition et on en avait trouvé un à Argenteuil où le boss n’était vraiment pas cool du tout et où l’on passait deux bonnes heures sur la route dans les encombrements du vendredi soir pour y arriver. Je partais à 17 heures de chez moi à Ivry et je récupérais tout le monde dans ma R6 pour arriver à Argenteuil à 19 heures.
C’est au cours de ces pérégrinations que l’on refaisait le monde avec Bulle et que l’on polémiquait des heures durant, d’où le surnom de Polémique Victor que je lui avais donné. Mais que de bons souvenirs. Finalement, Asgard se sépara début avril 1978 après un concert très expérimental et à mon humble avis novateur mais qui ne fut pas du goût de tout le monde.
BRETAGNE ET JURA
 Suite à quoi, Dan et Bulle rejoignirent un groupe folk, Ménerval, qui cherchait à s’électrifier en créant une formule originale, mélange de musique traditionnelle et de rock psychédélique. Tout le monde émigra de Paris vers la Bretagne car Gilles était 50% breton, sa famille avait une maison dans le Morbihan et il nous avait vendu le slogan « La Bretagne ça vous gagne » avec succès. De plus, il m’avait présenté ma femme en août 1977, une amie originaire de sa région, ce dont je lui suis toujours reconnaissant et pour l’éternité.
Pour ma part, à la fin de 1978, j’avais momentanément opté pour une carrière solo et monté un groupe avec moi-même et ma femme Annick aux éclairages et au son) : JJ’s Echoes And Co, une formule guitare + magnétophone Revox à l’image d’un certain Robert Fripp (King Crimson). Ma chambre d’écho à bandes Wem Copicat (la même que celle de David Gilmour) était le fer de lance de ce projet solo. Et je m’étais installé en Bretagne, comme Bulle l’avait préconisé. Mais, faisant fi de ses propres conseils, il fila vers l’est et s’installa avec Binoche sur Dijon puis dans le Jura.
Ce fut la grande époque Binoche avec plusieurs formules. Nous avons partagé plusieurs concerts et festivals (j’avais monté un nouveau groupe, Roll Mops) et je me souviens d’un concert fabuleux à Jugon les lacs en Bretagne au début des années 80. Franchement, Bulle y formait avec son compère batteur Jean-Michel Kravechvili une des meilleures sections rythmiques que j’ai pu entendre et voir sur une scène. La suite avec les Rastafumettos ne fut pas mal non plus, un excellent groupe de reggae avec lequel Binoche affirmait ses convictions humanistes et politiques (les textes évoquaient entre autres Nelson Mandela, critiquant férocement l’apartheid), toujours avec le fidèle Bulle. La suite dans la part 2.
JJ RÉBILLARD
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13 nov. 2019 19:32
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 Après Charley Patton, Leadbelly, Lonnie Johnson et Mississippi John Hurt, un cinquième article pour cette nouvelle série de portraits consacrés aux légendes du blues. Ces portraits se veulent à la fois des stories, des histoires de vie mais aussi des analyses de style où vous découvrirez tout ce qui façonne le son et le phrasé des légendes du blues. A noter que l’on s’intéresse ici spécifiquement aux guitaristes. Nous sommes toujours avec les pionniers et nous allons à présent découvrir l’un des fondateurs du Chicago Blues, Big Bill Broonzy, un virtuose dont le seul rival est Lonnie Johnson.
UN LIEU ET UNE DATE DE NAISSANCE CONTROVERSÉS
Avant toute chose et comme pour les articles consacrés aux pionniers, je vous engage à relire l’introduction de cette rubrique Blues Secrets. Elle est consacrée aux hollers qui sont la base du langage blues et dont la trace est encore très présente chez les premiers bluesmen.
Le lieu et la date de naissance de Lee Conley Bradley dit Big Bill Broonzy sont très controversés. Selon Big Bill lui-même, il serait né à Scott dans le Mississippi alors que les recherches du célèbre historien du blues Robert Reisman indiquent le comté de Jefferson dans l’Arkansas comme lieu de sa naissance. Ensuite, la date n’est guère plus claire. Broonzy prétend qu’il est né en 1893, d’autres sources avancent l’année 1897 voire 1898, enfin, le livret de famille découvert après sa mort laisse à penser qu’il serait né en 1903.
On préfèrera donc le juste milieu et l’année 1898 qui semble recoupée par plusieurs sources, notamment du fait qu’il a servi dans l’armée en Europe pendant la seconde guerre mondiale. Comme on le voit, avec les pionniers du blues, date et lieu de naissance prêtent souvent à d’interminables discussions mais le principal sujet reste évidemment la musique qu’ils ont distillée et l’héritage qu’ils nous ont transmis…
VIOLONISTE DE FORMATION
Issu d’une famille nombreuse qui ne compte pas moins de dix sept enfants, Bill passe sa jeunesse près de Pine Bluff dans l’Arkansas. Très précoce, il commence la musique à l’âge de 10 ans avec un violon…qu’il aurait selon la légende construit lui-même avec une boite de cigares en guise de caisse de résonance. Son oncle Jerry Belcher lui apprend des chansons issues du répertoire musical populaire et des spirituals. Bill a fort envie de partager ses premiers acquis et il commence rapidement à se produire avec Louis Carter, un ami guitariste dans des fêtes locales, souvent religieuses.
Mais tout ceci ne dure pas très longtemps et on retrouve notre homme en 1915 : à priori âgé de 17 ans, Bill s’est marié, travaille comme métayer et ne joue plus de violon…sauf que la petite histoire raconte qu’on lui aurait offert 50 dollars et nouveau violon à condition qu’il joue quatre jours durant. Sa femme ayant un peu inconsidérément dépensé l’argent, Bill est obligé de jouer et se réconcilie ainsi avec son violon. Mais les caprices météo de l’année 1916 le ruinent et l’obligent à louer ses services à d’autres exploitants agricoles.
ET BIG BILL BROONZY DEVIENT GUITARISTE
 Il est ensuite sous les drapeaux à partir de 1917 durant deux ans et combat ainsi en Europe à la fin de la grande guerre puis il quitte l’armée en 1919, s’installant dans la région de Litlle Rock, toujours dans l’Arkansas, avant de monter à Chicago en 1920.
C’est là que Big Bill va passer du violon à la guitare et c’est un bluesman sonsgter du nom de Papa Charlie Jackson qui va lui apprendre l’instrument. En effet, joueur de banjo-guitar, de guitare et de ukulélé, ce vétéran est bien placé pour être le prof de Bill.
Bien qu’il fasse accessoirement de multiples jobs pour joindre les deux bouts au début de ces années 20, l’activité principale de Big Bill reste la musique. Il se produit régulièrement dans des soirées et progresse rapidement à la guitare en se taillant une solide réputation. Et par l’entremise de Papa Charlie Jackson qui a ses entrées chez Paramount, il grave dès 1926 ses premiers 78 t. Son premier succès, Big Bill Blues date de 1928. Puis en 1930, le titre Saturday Night Rub révèle sa virtuosité et dès lors, le succès est là.
CHICAGO BLUES
Les années 30 sont un peu le premier âge d’or de Big Bill Broonzy. Il enregistre durant cette période au moins 300 titres en solo et presqu’autant comme accompagnateur chez Okeh Records, Bluebird, Columbia, Chess ou Mercury. Il se produit aussi beaucoup à Chicago dans les clubs du South Side et tourne avec Memphis Minnie. On le retrouve encore comme compositeur (il ne peut signer les arrangements du fait de ses contrats avec son label) pour des artistes et amis comme Washboard Sam (son demi-frère), Jazz Gillum, Tampa Red.
 En effet, il est le roi des clubs de Chicago et a une grande influence sur la vie musicale de la ville. De ce fait, il peut aider bien des jeunes artistes qui enregistreront leurs premières faces grâce à lui. Memphis Slim ou Muddy Waters lui doivent certainement beaucoup à ce titre.
Durant les années 40, Big Bill élargit encore son spectre musical et encore une fois, le point de comparaison s’établit avec Lonnie Johnson. Des chansons comme Where The Blues Began avec Big Maceo au piano et Buster Benett au saxo, Martha Blues avec Memphis Slim au piano ou Key To The Highway sont représentatives de cette époque.
RETOUR AUX ORIGINES ET CONSÉCRATION EN EUROPE
A la fin des années 40, la nouvelle tendance se dessine pour le Chicago Blues qui s’électrifie et devient beaucoup plus dur avec ses guitares amplifiées. Big Bill indique la voie à suivre à de nombreux musiciens comme Muddy Waters ou Willie Dixon, mais choisit à l’inverse de ne pas suivre cette tendance et de revenir aux origines.
Il reprend donc sa guitare acoustique et réinterprète les thèmes folk et country blues qu’il n’avait plus jamais joués depuis son arrivée à Chicago. Il part en Europe où le public va lui réserver un accueil sans précédent pour un bluesman et se définit lui-même comme « un laboureur noir du sud » ou comme « le dernier des chanteurs de blues vivants ».
Et c’est en Europe entre 1951 et 1958 que Big Bill Broonzy devient un artiste absolument mythique, influence majeure de nombreux musiciens grâce aux nombreux concerts qu’il donne dans les clubs de folk et de jazz britanniques. On peut dire qu’il a initié la future scène blues anglaise et de fait le British Blues Boom. Bien des musiciens aux styles très variés revendiquent son influence comme Bert Jansch, John Lennon, Eric Clapton, John Renbourn, Rory Gallagher, Ray Davies, Steve Howe, Ron Wood ou encore Jerry Garcia pour n’en citer que quelques uns…
Mais malheureusement, après une vie riche et trépidante et une véritable consécration en Europe, Big Bill Broonzy meurt d’un cancer de la gorge en 1958. Son héritage est inestimable et il aura largement contribué à la diffusion du blues auprès de tous les publics. En effet, pour le public américain en général et pour le public noir de Chicago en particulier, ou encore pour le public blanc européen, il aura été un véritable ambassadeur du blues.
En attendant l'analyse complète du style de Big Bill Broonzy dans la seconde partie de cet article, vous pouvez déjà écouter quelques titres qui ont largement contribué en faire une véritable légende du blues, celle du dernier des chanteurs de blues vivants, comme il aimait s'autoproclamer. Donc, rendez-vous dans cette partie 2 où vous apprendrez tout sur le style du maitre (finger picking à 4 doigts, jeu note à note au pouce ou au médiator, formules rythmiques, tonalités , grilles et harmonies de prédilection, gammes utilisées, effets de jeu). A suivre...
JJ RÉBILLARD
POUR EN SAVOIR PLUS
Big Bill Blues Original Version 1928
Big Bill Blues 1935 Orchestral Version
Saturday Night Rub 1930
Hey Hey (repris notamment par Eric Clapton dans son album culte Unplugged)
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6 août 2019 16:36
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Après Charley Patton, Leadbelly et Lonnie Johnson un quatrième article pour cette nouvelle série de portraits consacrés aux légendes du blues. Ces portraits se veulent à la fois des stories, des histoires de vie mais aussi des analyses de style où vous découvrirez tout ce qui façonne le son et le phrasé des légendes du blues. A noter que l’on s’intéresse ici spécifiquement aux guitaristes. Nous sommes toujours avec les pionniers et nous allons à présent découvrir un autre grand du Delta Blues, Mississippi John Hurt.
PLUS SONGSTER QUE BLUESMAN
Avant toute chose et comme pour les articles consacrés aux pionniers, je vous engage à relire l’introduction de cette rubrique Blues Secrets. Elle est consacrée aux hollers qui sont la base du langage blues et dont la trace est encore très présente chez les premiers bluesmen.
Cette fois, retour dans le Delta du Mississippi en 1892. C’est en cette année, le 3 mars plus exactement (alors que l’année 1893 a longtemps fait référence), que John Smith Hurt alias Mississippi John Hurt voit le jour à Teoc, Mississippi.
Il grandit à Avalon au sein de petites communautés agricoles qui cultivent notamment le coton. La ville de Greenwood n’est pas loin, véritable foyer du blues et lieu de naissance de son contemporain Furry Lewis, célèbre guitariste de country blues. C’est également Greenwood qui abrite la maison où Robert Johnson est décédé en 1938. Hurt est un autodidacte qui commence la guitare à l’âge de 9 ans sur un instrument qu’il surnomme Black Annie.
Pour la petite histoire, il s’agirait de la guitare qu’un ami de sa mère a mise en pension chez les Hurt. En effet, il y réside souvent tout en rendant fréquemment visite à une dame habitant à proximité. Dès que l’instrument est libre, le jeune Hurt en profite largement. Il progresse rapidement et devient un spécialiste du country blues traditionnel. Mais Mississipi John Hurt n’est pas un bluesman tel qu’on l’entend au sens classique du terme mais plutôt un songster avec un riche répertoire de chansons populaires.
DES SOIRÉES DANSANTES AUX SESSIONS A NEW YORK
Il les interprète en ajoutant sa touche personnelle, se forgeant ainsi un style unique qui le rend d’abord célèbre au plan local. Il anime effectivement bien des soirées organisées par ses voisins avec ce répertoire très dansant, un vrai phonographe ambulant à l’époque où la radio n’a pas encore envahi les foyers. C’est ainsi que l’amuseur du samedi soir va avoir l’occasion de se faire connaître, alors qu’il travaille par ailleurs comme ouvrier agricole ou métayer pendant ces années 20.
Il rencontre le fameux violoniste et guitariste de country music Willie Narmour avec lequel il joue et se lie d’amitié. Celui-ci ayant l’occasion d’enregistrer pour Okeh Records le recommande au producteur Tommy Rockwell. D’abord auditionné chez lui, il participe à une première session d’enregistrement à Memphis puis à une seconde session à New York…sous la direction du grand Lonnie Johnson (voir l’article consacré au maitre des maitres dans Blues Secrets).
Ces sessions de 1928 donnent naissance à 14 chefs d’œuvre de country blues et de ballades aux accents gospel. Malheureusement ces enregistrements sont des échecs commerciaux. Puis Okeh Records disparaît avec la Grande Dépression. Hurt retourne à Avalon, retrouve ses activités de métayer et ses soirées dansantes, bon père de famille et géniteur d’une grande famille de…14 enfants! A priori, Hurt est définitivement oublié du grand public. Ce n’est qu’en 1963 que Tom Hoskins, un aventurier collecteur de folkore acharné, guidé par les paroles d’un titre de Hurt, Avalon My Home (Avalon Blues), retrouve son auteur.
MIEUX VAUT TARD QUE JAMAIS…
Celui-ci ne comprendra jamais qu’un titre enregistré 35 ans plus tôt au cours de sessions à 20 dollars le titre lui permette de connaître cette gloire tardive durant les trois dernières années de sa vie. Du festival de Newport aux salles de concert de Washington en passant par le festival Phidadelphie Folk, il laissera le souvenir d’un conteur et de chanteur inspiré mais encore plus celui d’un guitariste remarquable qui inspirera toute une génération de musiciens des années 60 comme Stephan Grossman ou Doc Watson, pour ne citer qu’eux.
Car Mississippi John Hurt n’a absolument rien perdu de ses talents de guitariste et a continué à jouer durant toutes ces années. De cette dernière partie de sa carrière, on retiendra trois albums pour Vanguard Records et pratiquement tout son répertoire enregistré pour la Library of Congress. Toute l’œuvre du maitre est ainsi archivée telle un trésor et sa vie s’achève à Grenade (Mississippi) le 2 novembre 1966, où il décède d’une crise cardiaque.
DELTA BLUES ATYPIQUE
Le style de Mississippi John Hurt est un savant mélange de country music, de blues, de gospel, de bluegrass et de musique traditionnelle ancienne et populaire. Son jeu redoutablement fin et précis à la main droite en finger picking, avec ses basses régulières subtilement accentuées, peut être considéré comme une anomalie pour un musicien issu du Delta.
Ce type de jeu est en effet beaucoup plus fréquent sur la côte est des Etats Unis où il pourrait être apparenté à l’East Coast Blues d’un Blind Blake. A noter que le finger picking de Hurt est largement basé sur deux ou trois doigts (pouce, index et majeur).
Côté rythmique, le jeu de Hurt est très binaire, comme chez les pionniers du Delta. A noter un léger swing feel qui apparaît assez souvent mais est très subtil. Au plan harmonique, on n’est pas vraiment fidèle à la grille de blues traditionnelle. En effet, le style des pères fondateurs respecte souvent le principe des hollers. Dans ce cas, on a un riff unique basé sur un seul accord et de nombreuses variantes avec des liaisons mélodiques. C’est le cas dans un titre comme John Henry.
Par ailleurs, Mississippi John Hurt joue aussi des grilles basées sur plusieurs accords mais elles sont caractéristiques du country blues (que l’on retrouve aussi dans l’East Coast Blues) et donc proches de la country music ou parfois des ballades de la musique populaire. Mais on y retrouve les accords générateurs de la grille de blues classique dans la plupart des cas. Hurt ne joue pas à proprement parler en solo mais son jeu est basé sur des liaisons mélodiques en forme d’ornements sur les accords.
Ces liaisons mélodiques sont construites sur les gammes de blues aux différents stades mais comme elles partent généralement de la fondamentale de chaque accord, on peut considérer que les gammes de blues au troisième stade sont très représentées.
Hurt joue aussi en slide mais c’est moins fréquent. Dans ce cas, il conserve son jeu classique en finger picking en ajoutant de petites phrases au bottleneck. Dans l’ensemble, la sophistication précoce de son jeu est un élément majeur de son style impeccable.
Enfin, en consultant le site superbement documenté de Weenie Campbell, on s’aperçoit que Mississipi John Hurt utilise le plus souvent un accordage standard mais qu’il joue dans de nombreuses tonalités.
Il est aussi l’aise en Do qu’en Mi, en Ré, en Sol ou en La ce qui est rare chez les pionniers. Pour les open, il en utilise également, notamment lorsqu’il utilise le bottleneck et ce sont le spanish tuning (open de G) ou l’open de D.
GUITARES ET SESSIONS
Lors de sa redécouverte Hurt ne possédait pas de guitare. Quand il reprend les sessions live et les enregistrements, on peut le voir à dès 1963 avec une Gibson J-45 mais il lui préfére rapidement une Guild F30. Pour les sessions de Vanguard, il joue sur une Martin OM-45 de 1930 prêtée par Stefan Grossman. Pour écouter Mississippi John Hurt, on dispose de nombreux enregistrements parmi lesquels 1928 Sessions qui proposent de découvrir ses premières sessions. Un bijou!! Chez Vanguard, des publications plus récentes sont également à recommander comme Today! ou The Immortal Mississippi John Hurt.
JJ RÉBILLARD
Tous les accordages de Mississippi John Hurt
https://weeniecampbell.com/wiki/index.php?title=John_Hurt_Library_of_Congress_Recordings:_Positions/Tunings_and_Keys
John Henry (1965)
https://www.youtube.com/watch?v=VoRnce4nUAo
You Got To Walk That Lonesome Valley
https://www.youtube.com/watch?v=85BvT5X6WSo
King of the Blues Full Album
https://www.youtube.com/watch?v=C7gVZmzAsBo
Avalon Blues
https://www.youtube.com/watch?v=klcDgu2f_pQ
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